L’évolution des poissons amphibies

Le 3 mars 2011

L'évolution n'est pas un simple chemin du poisson à l'homo sapiens en passant par le singe. Exemple avec les différentes directions de l'évolution des poissons amphibies.

Dans le joli monde de la médiatisation scientifique, l’un des concepts les plus malmené est certainement le processus de l’évolution. On a tous été exposé à une représentation simpliste et erronée du mécanisme de l’évolution, celui de la chaine de complexité: on la retrouve dans la fameuse marche du progrès.

Ou encore le chemin évolutif linéaire qui débouche sur l’humain :

Pas étonnant ensuite que quelques confusions s’installent, mises en dérision dans cet épisode de South Park :

Et oui, si on imagine que l’évolution a un sens et gravis une échelle du progrès, échelon par échelon, dont nous serions l’apogée, on se retrouve à douter sérieusement de sa validité. C’est ce genre de représentation de l’évolution qui mène beaucoup de personnes à se poser des questions du genre : si l’évolution tend vers l’humain, comment se fait-il qu’il existe encore des espèces moins évoluées ?

Heureusement, scientifiques et bloggeurs (comme Marion Sabourdy ou Mr Ocean Electrique) se mettent de plus en plus à traiter de la question pour chasser des esprits ces idées fausses.

Je répète ce qui a déjà été dit dans leurs billets : l’évolution ne se dirige pas dans un sens particulier. Il n’y a pas de progrès préconçu dans l’évolution. L’évolution va dans toutes les directions, contrainte uniquement par les changements génétiques aléatoires qui sont transmis au cours de la reproduction des organismes, ainsi que par la sélection naturelle qui élimine les individus non adaptés aux conditions de survie et de reproduction dans un contexte donné. Au grès de ces contraintes, les espèces vont évoluer et peuvent changer drastiquement de morphologie, de stratégie de survie, de degré de complexité, dans tous les sens possibles !

C’est à mon tour de m’atteler donc à la démystification de la représentation linéaire de l’évolution, mais on va faire ça SSAFT style, avec une jolie convergence évolutive !

Parlons donc de la transition des vertébrés aquatiques vers des vertébrés terrestres. Selon le schéma horrible ci-dessus, cette transition ne se serait effectué qu’une fois, de poisson à tétrapode, pour que le chemin de la perfection mène vers notre bonne bouille d’Homo sapiens. Si vous avez bien suivi, vous avez maintenant compris que, puisque l’évolution ne favorise pas un sens particulier, cette transition n’est qu’un chemin parmi d’autres qui dans ce cas précis, a mené à l’émergence des animaux tétrapodes, mais qui dans un autre a pu mener vers l’émergence d’autres animaux adaptés à des conditions écologiques différentes que celles rencontrées sur la terre ferme.

Mais du coup, si je vous dis qu’il n’y a pas de chemin prédéterminé à l’évolution, qu’est ce qui empêche l’émergence indépendante, à un autre moment, à un autre endroit, d’espèces de vertébrés non tétrapodes mais adaptées cependant à la vie terrestre ?

Réponse : rien. Rien n’empêche l’évolution d’arriver à ce même résultat via un chemin différent. Et d’ailleurs vous savez quoi ? Ces vertébrés non tétrapodes qui gambadent sur la terre ferme, et bien ils existent ! Et vous savez comment on appelle ce phénomène d’émergence d’espèces partageant des critères morphologiques qui n’ont pas été hérités par un même chemin évolutif ?

La CONVERGENCE ÉVOLUTIVE pardi ! (Ouais, je sais pas trop pourquoi je me mets à crier en fait…)

Faisons donc un petit panel des vertébrés adaptés à la vie terrestre (alias, je respire le bon air frais et je gambade hors de l’eau) par ordre des plus connus.

D’abord, il y a les tétrapodes, représenté ci dessus par la reconstitution d’un des plus anciens tétrapodes, Ichthyostega.  Les tétrapodes sont des vertébrés qui ont généralement deux paires de membres (mais pas toujours, exemple 1 et 2) et qui respirent avec des poumons (mais pas toujours – quand je vous dis que l’évolution va dans n’importe quel sens…).

Il y a aussi les proches cousins des tétrapodes, les dipneustes, qui possèdent une belle tronche de poiscaille mais qui pourtant possèdent, en plus de leurs branchies, un joli petit poumon qui lui permet de respirer à l’air libre. Par contre, s’il gambade avec ses grosses nageoires charnues, c’est uniquement sous l’eau et dans la vase.

Mais bon, le cas du Dipneuste n’est pas vraiment un cas de convergence évolutive puisque les tétrapodes ont hérité de poumons et de membres homologues à ceux trouvés chez les dipneustes. Voyons voir ce qui se passe du côté des poissons qui sont adaptés à respirer hors de l’eau, mais sans poumons! (et on ne compte donc pas les poissons qui font un court séjour hors de l’eau, mais sans respirer, comme les grunions lors de la parade amoureuse)

Commençons d’abord par les blennies, comme le curieux bonhomme ci dessus, Alticus saliens, qui peut parfaitement respirer hors de l’eau, et y passe le plus clair de son temps pour échapper à ses prédateurs et attraper de belles proies. Par contre, niveau locomotion, notre ami Alticus a choisi le saut en hauteur plutôt que la bête marche à nageoire… Encore une fois, les voies de l’évolution sont imprévisibles…

Il y a même certains poissons qui ont perdu totalement la capacité de respirer sous l’eau à force de faire les malins et de rester près de la surface. C’est par exemple le cas de l’anguille électrique dont Vran nous avait parlé il y a quelque temps, dans le cadre d’un autre cas de convergence évolutive. Les anguilles électriques doivent donc prendre une goulée d’air à la surface toutes les 10 minutes…

Dans le genre plus flippant, il y a les Channas comme Channa argus, des poissons carnivores dont la prolifération (et le fait qu’ils respirent et se promènent sur terre) en font une espèce invasive à surveiller. Ils appartiennent à un groupe cousin de toute une famille de poissons, les Anabantidés, qui utilisent un organe spécial situé dans la tête et appelé le labyrinthe pour respirer l’air de la surface et ainsi compenser le manque d’oxygène des eaux dans lesquelles ils vivent.

Version plus gentil, il y a les gouramis anabas qui peuvent respirer et marcher hors de l’eau pendant près de 8 heures :

Et bon, j’ai laissé le meilleur pour la fin avec le cas merveilleux des poissons grenouille (Les poissons-grenouilles avaient déjà pointé le bout de la nageoire sur SSAFT, dans un commentaire illustré). Cette fois-ci la respiration de ces étranges poissons est assurée par la peau, à l’instar des amphibiens !

Voici donc un peu plus de détails sur les défis quotidiens que doivent relever mes poissons amphibie-préférés, les poissons grenouilles ou Oxudercinae, narrés par le naturaliste qu’on ne présente plus, Sir David Attenborough. Dans la vidéo ci-dessous, vous découvrirez deux espèces de poissons amphibie, Boleophthalmus pectinirostris et Periophthalmus modestus dont le train de vie vous laissera pantois !

Transcription:

Un poisson grenouille (Mudskipper – sauteur de vase), un poisson qui passe la plupart de sa vie hors de la mer. Il peut marcher sur la terre et respirer à l’air libre. Sa vie est très différente de la vie de la plupart des autres poissons. Un poisson hors de l’eau, certes, mais ils prospèrent ici au Japon.

Qu’est ce qui a rendu ce changement d’habitat avantageux ? La réponse se trouve dans la boue. Lorsque la marée se retire, elle laisse un dépôt vaseux. La lumière du soleil frappe le limon fertile et des petits animaux et plantes se développent. Une source de nourriture pour le poisson-grenouille.

Mais la vie sur la terre ferme n’est pas dénuée de problèmes. Trouver un partenaire sexuelle est une tâche ardue ! Sauter haut par dessus la vase permet de se faire remarquer. Avec des yeux perchés sur le dessus de leur tête, les poissons grenouilles gardent un œil vigilant pour débusquer leurs amis ou leurs ennemis. Et le mâles combattent ceux qui s’introduisent sur leur territoire. Ils doivent aussi prendre garde à ne pas se dessécher sous le soleil. Rouler dans la vase permet de garder la peau au frais et humide.

Pour cette espèce plus petite, une meilleure alternative est de se retirer sous le sol. Il se creuse donc un tunnel dans la boue. Ces amas de déblais permettent d’appréhender l’étendue de ses excavations. À cause des marées qui inondent le tunnel deux fois par jour, la maintenance est un véritable calvaire.

Le tunnel est plus qu’un simple refuge contre le soleil. Il sert un autre but très important. Le tunnel prend en fait la forme d’un U et le bout du tunnel correspond à une chambre close dont les murs sont bordés d’œufs. Les œufs sont gardés à l’air libre du fait que l’air est plus riche en oxygène que l’eau. Le problème c’est que l’air qui est piégé dans la chambre ne durera pas longtemps. Donc le mâle va nager jusqu’à l’autre extrémité du tunnel pour prendre une gorgée d’air frais. Il repart ensuite à travers le tunnel et relâche sa gorgée dans la chambre-couveuse, réapprovisionnant d’oxygène l’atmosphère de la chambre pour que les œufs survivent. Il répètera la procédure des centaines de fois jusqu’à ce que ses œufs éclosent. Ce style de vie est très contraignant mais le poisson grenouille semble avoir trouvé un moyen de contourner tous les problèmes.

Références:

A Locomotor Innovation Enables Water-Land Transition in a Marine Fish.” By Shi-Tong Tonia Hsieh. Public Library of Science ONE, Vol. 5 No. 6, June 18, 2010.

Larson H.K., Jaafar Z. and Lim K.K.P., 2008 – An annotated checklist of the gobioid fishes of Singapore – The Raffles Bulletin of Zoology, 56(1): 135–155.

Liens:

Article BoingBoing

The Mudskipper

BBC Life et la scène des Mudskippers en détail

Images FlickR CC by-sa-nc : lamont_cranston,  Wikimedia Commons CC-by-sa M. Garde, Nobu Tamura, Steven G. Johnson, FlickR CC-ny-nd-sa meckert75 et Domaine public (USGS)

>> Article initialement publié sur SSAFT

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