OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Mega enjeu http://owni.fr/2012/10/22/mega-enjeu/ http://owni.fr/2012/10/22/mega-enjeu/#comments Mon, 22 Oct 2012 05:42:14 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=123439

Sûr de ses talents de communicant, Kim Schmitz (alias Dotcom) faisait mine vendredi dernier de confier à Wired le nom de son nouveau site de partage de fichiers.

Sans dévoiler l’adresse du nom de domaine, il laissait supposer qu’il s’intitulerait “Mega”. En lieu et place de MegaUpload, fermé à la suite d’une retentissante opération judiciaire menée par le FBI sur plainte de plusieurs majors américaines.

Mais les responsables qui travaillent sur le projet, et avec lesquels nous nous sommes entretenus, se montrent plus nuancés. Tel Emmanuel Gadaix, l’un des cerveaux de la nouvelle (et de l’ancienne) infrastructure, précisant que “Mega” se retrouvera bien dans la nouvelle marque mais attaché à d’autres mots.

Il nous assure que l’offre existera avant “la fin de l’année”, avec des ambitions considérables pour le marché de la musique et du cinéma en ligne :

Nous mettons en place des nouvelles mesures de sécurité. En particulier, un “client-side cryptosystem” qui chiffrera, de manière transparente pour l’utilisateur, toutes les données transmises sur le cloud. Lors du lancement, d’ici la fin de l’année 2012, nous dévoilerons nos API qui permettront aux développeurs de créer une multitude d’applications innovantes, qui utiliseront la puissance et la sécurité de cloud Mega [...] Nous allons respecter les règles du DMCA qui protègent les hébergeurs contre les actions de leurs utilisateurs.

Dans le secret de MegaUpload

Dans le secret de MegaUpload

Comptes offshore, sociétés à Hong Kong ou à Auckland, porte-parole mystère et pactole considérable dans des paradis ...

Services secrets

Si la trajectoire de Kim Dotcom dresse le portrait d’un bonimenteur 2.0 pas toujours de très bon goût, comme le montre une enquête fouillée du site Ars Technica, celle d’Emmanuel Gadaix, plus discrète, présente le profil d’un visionnaire de la sécurité des réseaux.

Entre 1993 et 1998, ses talents l’amenèrent à être régulièrement sollicité par la DST (les services secrets de sécurité intérieure français, devenus la DCRI) pour organiser diverses opérations et en particulier des tests d’intrusion.

Une tranche de vie qui se trouve résumée dans une décision de relaxe prise par la 13ème Chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris, le 2 novembre 2000, pour une visite à l’intérieur d’un serveur du groupe pétrolier Exxon, réalisée à la demande des services français. Et donc pardonnée. Il était alors âgé de 33 ans.

Depuis, établi entre la Thaïlande et Hong Kong, Emmanuel Gadaix participe comme consultant à d’importants chantiers en sécurité des systèmes, loin des institutions. En marge de ses projets avec Kim Schmitz, il collabore à des travaux de recherche avec la société française P1 Security, dirigée par Philippe Langlois, l’un des papes en sécurité des systèmes d’information – le 8 octobre dernier, ce dernier présentait quelques résultats pointus en compagnie de Gadaix, lors de la dernière Hack in the box Conference de Kuala Lumpur.

Abusive

Grâce à Gadaix, sur le nouveau Mega, les administrateurs du site ne pourront pas déchiffrer les données et les opérations des personnes qui utilisent leurs services – contrairement aux responsables de Google ou de Dropbox. Avec un gros objectif à court terme : concurrencer iTunes, ni plus ni moins, grâce à une base juridique et technique sans équivalent.

Les serveurs seront dans de multiples juridictions y compris en Europe. Comme toutes les données stockées sur le serveur ne pourront être décryptées, nous pourrions même en héberger aux Etats-Unis. Nous ne le ferons pas, à titre de sanction économique tout d’abord, mais aussi par respect pour nos millions d’utilisateurs dont les données sont toujours otages du gouvernement américain.

Internet après la fin de Megaupload

Internet après la fin de Megaupload

La coupure de Megaupload a provoqué un torrent de réactions. Le problème n'est pas la disparition du site en lui-même. Il ...

Car l’homme, ainsi qu’une partie de l’entourage de Kim Schmitz, considère que l’opération judiciaire du FBI de l’hiver dernier a servi de manière abusive les majors de la musique et du cinéma. Intervenue le 19 janvier, elle précédait de deux jours le lancement de Megabox, prévu le 21 janvier.

À ce moment-là, dans un entretien accordé par Emmanuel Gadaix au site CitizenKane.fr, Megabox était présenté comme un futur iTunes sans intermédiaire, permettant aux artistes d’être directement rémunérés par leur public.

Coïncidences

Le 26 septembre dernier, Kim Schmitz s’en amusait sur sa chaîne YouTube, en diffusant une bande-annonce de Megabox qui semble avoir été produite pour le lancement initialement prévu le 21 janvier, avant d’être annulé.

Gadaix sourit. Dit qu’il ne croit pas aux coïncidences. Peu de temps avant l’arrestation de ses partenaires, il s’était rendu le 11 janvier à une invitation du Sénat français pour discuter droits d’auteur et libertés numériques – les internautes français, à eux seuls, apportaient 12% du chiffre d’affaires global de MegaUpload.

À cette occasion, il avait – nous assure-t-il – pris des premiers contacts avec les responsables d’Hadopi, en coulisses, pour préparer des négociations futures, envisagées début février. Du côté de l’Hadopi, a priori personne ne semble s’en souvenir.

Selon Emmanuel Gadaix, “pour Mega, l’objet de la discussion était de trouver des moyens de travailler ensemble pour réduire la piraterie sur le Net et pour étudier des méthodes de rémunération des auteurs grâce aux nouveaux services de Mega”, avec notamment la possibilité de domicilier en France une partie des revenus dans l’attente de définir la meilleure clé de répartition.

Pas sûr que la renaissance de MegaUpload ne ressuscite les mêmes intentions.


Illustration et couverture par Cédric Audinot pour Owni /-)

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L’enfant terrible du DIY http://owni.fr/2012/04/19/lenfant-terrible-du-diy/ http://owni.fr/2012/04/19/lenfant-terrible-du-diy/#comments Thu, 19 Apr 2012 10:26:29 +0000 Anaïs Richardin http://owni.fr/?p=106456

Décidément le bricolage de grand-papa est devenu aussi sexy que le surf, surtout s’il est rebaptisé DIY (Do It Yourself, fais-le toi-même.) En témoigne Caine Monroy, ce jeune Américain de neuf ans devenu une star grâce à ses créations du dimanche filmées dans des vidéos qui ont fait le tour du web.

Passionné de jeux et ingénieux bricoleur, Caine a créé une salle de jeux d’arcade dans le magasin de son père, vendeur en pièces détachées automobile. Utilisant de vieux cartons à la manière de Michel Gondry dans La Science des rêves, ainsi que des jouets dont il ne voulait plus, cet as de la débrouillardise a lancé son petit business l’été dernier.

L’histoire de ce petit garçon peu ordinaire est somme toute banale et pourtant cela a fonctionné. Pourquoi ? Le sujet de la vidéo n’est pas sujet à discussion et ne provoque aucune prise de position. Partager cette vidéo n’est pas une action impliquante pour l’internaute et cela lui donne même le sentiment de participer en partie à l’histoire qui se crée. Une histoire que l’on prend plaisir à se transmettre d’ami en ami comme l’explique Camille Alloing, auteur du blog CaddE-Réputation et spécialiste e-réputation :

Une vidéo qui fonctionne est une vidéo qui raconte une histoire. Une histoire que l’on puisse transmettre à d’autres. C’est d’ailleurs la démarche du réalisateur, il n’écrit pas l’histoire il ne fait que la transmettre.

Mais la vidéo ne s’est pas effectuée avec la même fluidité partout dans le monde. En effet, si ce petit film a fait des émules aux États-Unis, il est passé sous le radar des Français, notamment des journalistes. Une différence de réception dont les causes sont très certainement culturelles, analyse Camille Alloing :

C’est la figure américaine du self-made man, en l’occurrence self-made child qui doit résonner aux États-Unis en terme de culture et de conscience collective .

Une notion de self-made man qui n’est pas profondément ancrée dans la culture française. Pourtant c’est à la sueur de son seul front que Caine a tout mis en œuvre pour faire de son business en carton une véritable petite affaire professionnelle : t-shirt “staff” au nom de son enseigne “Caine’s arcade”, sac en papier étiquetés à la main, tickets de jeu patiemment découpés et collés.

Malheureusement pour lui, le quartier de Los Angeles dans lequel est situé le magasin de son père est une zone industrielle qui n’attire pas les foules. Enfin, qui n’attirait pas les foules jusqu’à ce que Nirvan Mullick, réalisateur, y passe chercher une pièce pour réparer sa vieille Toyota. Intrigué par l’ingéniosité du jeune garçon, il décide de tester cette salle de jeux faite de bric et de broc. Dans la vidéo, il raconte leur rencontre :

Je lui ai demandé combien cela coûtait pour jouer. Pour un dollar, vous avez quatre parties mais pour deux dollars vous avez un fun pass, qui vous permet de jouer 500 fois. J’ai pris le fun pass.

Ce premier –et unique- client était aussi celui qui allait conduire Caine au succès. Impressionné par sa débrouillardise, il décide d’offrir au petit garçon ce qui lui manque : des clients. Nirvan Mullick, stratège digital pour une agence de communication a su mobiliser ses compétences en la matière pour faire connaître Caine’s arcade. Il crée ainsi une page Facebook, un compte Twitter, ainsi qu’un site web. Avec le concours du père de Caine, il organise une flashmob, réunissant en secret une centaine de personnes dans la petite échoppe de Mission road.

Pour Caine ce sera “le plus beau jour de sa vie” et pour Nirvan, l’objet d’un petit film qui retrace cette rencontre et la création de Caine’s arcade. La vidéo de onze minutes, créée pour être visionnée aux DIY days de l’université de Californie UCLA sera ensuite postée sur YouTube et Viméo le 9 avril. Avec plus de deux millions de visiteurs, le succès n’est pas à la hauteur de la vidéo KONY 2012, l’autre démonstration de viralité de l’année qui a attiré 43 millions de visiteurs en seulement deux jours. Mais l’histoire ne s’arrête pas à un joli film qui a fait le tour de la toile.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Souhaitant profiter du buzz pour donner un vrai coup de pouce à Caine, Nirvan Mullick a créé une Fondation pour récolter des fonds et payer les frais universitaires du jeune garçon, généralement très élevés de ce coté de l’Atlantique, ainsi que pour venir en aide à d’autres enfants. Avec un objectif initial de 25 000 dollars, il a finalement récolté 60 000 dollars en une journée. Six jours après le lancement de l’opération, Nirvan vient de remettre à Caine un énorme chèque en carton, que l’on n’espère pas en bois, d’un montant de 152 000 dollars. De quoi permettre à ce petit génie de faire de grandes études qui le mèneront peut-être à devenir milliardaire dans 30 ans comme le présent le magazine économique américain Forbes.

Le DIY tel que l’a utilisé Caine pour créer de ses mains ce dont il avait envie est un mouvement de plus en plus répandu, d’autant plus durant ces périodes où le pouvoir d’achat est en berne. La débrouillardise en est une des clés et ce petit garçon en a motivé plus d’un à faire de même. Le hashtag #teamcaine sur Twitter a ainsi été créé pour ses supporters mais aussi pour que d’autres enfants créatifs puissent partager leurs créations.

À l’heure où l’on parle de plus en plus des bénéfices des jeux vidéo pour affuter certaines capacités comme la réactivité, de nombreux commentaires saluent justement le fait qu’aucun outil numérique n’est ici en jeu. Comme les enfants s’amusaient avec un morceau de bois et une chambre à air au début du siècle, Caine a su créer lui-même son jeu, laissant de côté les écrans et mettant à profit son temps libre pour inventer toujours plus de nouvelles machines à rêve.


Captures d’écrans de la video Caine’s Arcade et via l’album Facebook Caine’s Arcade Flashmob

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La révolution des hackers http://owni.fr/2012/04/17/enfin-une-revolution-cool/ http://owni.fr/2012/04/17/enfin-une-revolution-cool/#comments Tue, 17 Apr 2012 15:37:45 +0000 Thierry Keller (Usbek & Rica) http://owni.fr/?p=106436 Uzbek & Rica organisent à la Gaîté lyrique à Paris un Tribunal pour les générations futures avec, à la barre, la révolution qui vient. Celle d'une société de l'information libre et gratuite, en opposition à une société construite par des industries dites culturelles. Thème du procès de ce soir: "la culture doit-elle être libre et gratuite ?" Dès à présent, récit de la genèse de cette cooool révolution.]]>

[LIVESTREAM] Suivez le tribunal des générations futures en direct sur Dailymotion.


Les hackers sont en train de réussir là où les marxistes avaient échoué : bâtir une société fondée sur le partage. À tout point de vue, cette révolution est vraiment plus sympa que la précédente.

Pour la première fois dans l’Histoire, il est donné aux hommes l’occasion de réussir quelque chose de grand, et sans faire de morts. Grâce à Internet et à ses bons génies, les hackers, une nouvelle civilisation est à portée de vie : la civilisation du partage. Soyons francs : la grande affaire des XIXe et XXe siècles, c’est la révolution. Parvenus à un stade de développement tel que les inégalités devenaient insupportables, les hommes, guidés par une élite intellectuelle nourrie à la philosophie grecque et à la Révolution française, n’ont eu de cesse de vouloir bâtir une société idéale.

« À chacun selon ses besoins », écrit Marx dans Critique du programme de Gotha (1875). C’était le credo : une société où chaque être humain pourrait se réaliser, briser ses chaînes, s’élever. Cette quête fut un combustible ravageur. Combien d’individus sont morts pour la cause ? Combien sont morts assassinés par la cause ? Du haut de notre millénaire flambant neuf, nous avons tendance à l’oublier : la révolution, jusqu’en 1989, fut la seule chose importante dans la vie de centaines de millions de gens. Pour le pire et pour le meilleur. Souvent pour le pire.

De toute façon, la révolution a échoué

Elle a échoué parce que la pureté qu’elle réclame a conduit ses soldats à pratiquer l’anathème, le sectarisme, et à répandre la terreur à l’encontre de tout récalcitrant. Parce que, au nom de l’émancipation, elle a nié la dignité absolue de l’individu. Enfin, parce qu’elle a voulu étendre le champ de la politique à la vie entière. Mais la beauté, l’amour, l’amitié, l’art ne sont pas réductibles à la politique.
Trotski croyait que la révolution avait été « trahie ». Par la bureaucratie, par Staline et ses nervis, qui avaient transformé le rêve en cauchemar. Il avait tort. Le ver était déjà dans le fruit. On ne fait pas le bonheur des gens à leur place. Une révolution dirigée par Trotski aurait-elle été plus douce ? Pas sûr.
Résultat, le capitalisme a gagné à plate couture. Quoi de plus normal ? Le capitalisme est un fantasme puissant. Personne n’a jamais rêvé de franchir le rideau de fer d’ouest en est. Où a-t-on jamais vu que la liberté et le bien-être matériel s’épanouissaient à l’ombre d’un autre système ? À Cuba ? En Chine ? Allons ! Sauf qu’aujourd’hui le système est à bout de souffle.

Un spectre hante le monde : le partage

Oui, à bout de souffle. L’économie est vampirisée par la finance. Elle organise la plus extraordinaire captation de richesses de tous les temps, au profit de quelques sales gosses déguisés en gentlemen, et au détriment de tous les autres. Quant au système politique, assis sur l’État-nation et la démocratie représentative, il fait semblant d’être en vie, mais il est en état de mort clinique. Et ce n’est pas le simulacre de joute auquel nous assistons en ces temps électoraux qui le ranimera. Le capitalisme est mort, la politique est morte. Tant mieux : il faut tout réinventer.

Tout réinventer à condition de savoir piocher dans la boîte à outils que, depuis quelques décennies, des congénères bien intentionnés préparent pour nous. Dans le langage officiel, on les appelle « hackers ». Ils font la une de quelques magazines, sont l’objet de documentaires. Le grand public connaît le plus célèbre d’entre eux, un Australien à cheveux blancs accusé de viol, nommé Assange. Dans le langage marxiste, on les appellerait des « camarades ». Jadis, les possédants les désignaient sous le vocable méprisant de « partageux ». En langue usbekienne, appelons-les plutôt des « anges gardiens », ou des « amis ». À l’origine, rien ne les prédisposait à enfiler le costume de justicier.

Les hackers (bidouilleurs, en français) étaient de simples amoureux de technologie qui ne comprenaient pas pourquoi les firmes gardaient pour elles les codes sources de banales machines. Selon eux, le savoir et le progrès technique devaient être partagés. Ce n’était pas une vision du monde idéologique (l’horrible mot), mais pragmatique. Depuis, les choses ont changé. Les voici à la tête d’un mouvement qui les dépasse. Ils sont devenus des militants, un peu bon gré mal gré ; c’est pourquoi on dit aussi d’eux que ce sont des « hacktivistes ». Peut-être même que si Trotski était vivant, il serait l’un d’entre eux ! Leur job ? Ridiculiser les puissants, rendre visible ce qui est caché et accessible ce qui est confisqué.
Bien sûr, comme ceux qui ont raison avant les autres, ils sont pourchassés. Leur obsession du partage, ça passe mal chez les gardiens du temple. Quand on détient l’information, l’autorité ou le capital, on détient le pouvoir. En être dépossédés, c’est un renoncement auquel peu sont prêts. Criminalisés aujourd’hui, les hackers risquent pourtant bien d’être célébrés demain comme bienfaiteurs. Aujourd’hui underground (on parlait avant d’« avant-garde »), la révolution hacker va vite devenir mainstream (on disait les « masses »). Quand les hackers deviendront mainstream, la révolution aura gagné. Vraiment ? Oui, parce que ce sera une révolution cool.

Humour, humanisme et ego-altruisme

Si elle vise aux mêmes buts que la précédente (une humanité fraternelle), la révolution en cours propose une méthode plus fun (c’est un peu ça, le fun, après tout, qui manquait à Lénine et à ses amis), une méthode qui s’appuie sur quelques principes simples.
L’ego-altruisme, d’abord : une culture qui réconcilie le « nous » des communistes et le « je » des libéraux. L’humanisme, ensuite : un retour bienvenu au récit à « hauteur d’homme », où chacun ne serait pas simplement le jouet de la Grande Histoire, ce qui serait désolant, dessinant les contours du nouvel « humanisme numérique » prôné par le philosophe Milad Doueihi. L’humour, enfin. Une capacité naturelle à entreprendre des choses sérieuses (faire tomber une dictature ou mettre en ligne les plans d’une moissonneuse-batteuse) sans se prendre au sérieux, là où le second degré et l’insolence étaient totalement étrangers à la révolution 1.0.

Osons un sacrilège : la révolution va triompher parce qu’elle sera – elle est déjà – une révolution apolitique. Elle change le monde tranquillement, sans tambour ni trompette, sans excommunications, et sans Grand Soir. Elle obtient des résultats, ne se contente pas de pureté idéologique ni d’incantations. Elle a commencé dans des bureaux d’université occupés par des informaticiens barbus, elle finira dans l’école de nos enfants, dans les rues de nos villes, dans les contrées les plus reculées du monde. La révolution hacker va dessiner une nouvelle civilisation, où tout sera réinventé : l’argent, le pouvoir, l’instruction, la propriété, les frontières, l’identité, la famille… Elle ne fera pas de morts parce qu’elle ne sera pas décrétée d’en haut par un Politburo. C’est cette histoire que nous avons voulu partager avec vous dans les pages qui précèdent. Et qu’Usbek & Rica continuera à raconter dans les prochains épisodes.

Choisis ton camp, ami !

Bien sûr, veillons à ne pas sombrer dans la technophilie béate. L’ère numérique ne recèle pas que des bienfaits.
Il ne faut pas confondre les outils et les buts. Les terroristes islamistes sont des sortes de hackers aux visées macabres. Techniquement, ce sont des contemporains ; politiquement, ce sont des fascistes. Cette civilisation émergente n’affleure pas partout. Quoique mondiale, elle passe encore au-dessus du quart-monde, mais aussi du tiers-monde. Des pauvres d’ici et des pauvres de là-bas, ceux qui n’ont pas les codes pour en goûter les fruits.

Les marxistes avant nous pensaient que la chute du capitalisme était inéluctable. La civilisation du partage a des ennemis : les dictatures, et, chez nous, en vrac, la raison d’État, Acta, Hadopi, les fournisseurs d’accès à Internet qui veulent continuer à s’enrichir et rêvent d’un réseau truffé de péages comme une autoroute.
La nouvelle bataille oppose non plus les révolutionnaires aux bourgeois, mais les altruistes aux égoïstes. Jeremy Rifkin :

« Il semble qu’un nouvel état d’esprit émerge chez les responsables politiques des jeunes générations socialisées sur Internet. Leur politique se structure moins en termes de “droite” et de “gauche” qu’autour d’un nouveau clivage : “centralisé et autoritaire” contre “distribué et coopératif” »

Rifkin n’est pas la Bible, mais, enfin, il a parfois de bonnes intuitions. En ce qui nous concerne, nous avons choisi notre camp. Nous ne jetterons pas l’anathème sur les ennemis de la révolution, nous ne les enverrons pas en camp de rééducation idéologique. Mieux : chacun sera le bienvenu dans la grande aventure de la civilisation du partage, même les capitalistes. Les autres, nous les combattrons.


Design par Almasty pour Usbek & Rica
Adaptation pour Owni par Ophelia Noor

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Artistes contre le droit d’auteur http://owni.fr/2012/03/14/artistes-contre-le-droit-dauteur/ http://owni.fr/2012/03/14/artistes-contre-le-droit-dauteur/#comments Wed, 14 Mar 2012 11:58:27 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=101928

“Rien n’est à nous”, c’est le titre de ce court poème écrit par Henri-Frédéric Amiel en 1880 et paru dans le recueil “Jour à jour, poésies intimes” :

Source : Gallica/BnF

Ces quelques vers pourraient paraître anodins, mais ils font écho à des questions fondamentales, comme celle de l’originalité, véritable clé de voûte de l’édifice du droit d’auteur, qui devient de plus en plus problématique à l’heure du retweet, du like, de la curation, de l’agrégation, du remix et du mashup.

Plus encore, l’expression “domaine commun” employée par le poète est intéressante, car elle renvoie à la fois au domaine public et aux biens communs, deux catégories essentielles pour penser la création et la diffusion de la connaissance aujourd’hui.

Ce poème enjoint les créateurs à faire une chose qui peut paraître de prime abord presque folle : verser volontairement leurs productions au domaine public par anticipation, avant l’expiration du délai de protection du droit d’auteur. En renonçant à leurs droits de propriété intellectuelle.

L’hypothèse pourrait sembler purement théorique, mais en cherchant bien , on trouve plusieurs exemples de telles manifestations de générosité de la part de créateurs, parfois prestigieux.

Léon Tolstoï gratuit

A la fin de sa vie, l’auteur de La Guerre et la Paix a renoncé à tous ses droits d’auteur par testament, pour des raisons religieuses et pour dénoncer l’état de pauvreté de la Russie. L’édition monumentale de ses œuvres complètes parue de 1928 à 1951 porte sur la page de garde de chaque volume “La reproduction de ces textes est autorisée gratuitement”.

Portrait de Léon Nikolayevich Tolstoï. Huile sur canvas. 124 × 88 cm. Galerie State Tretyakov, Moscou. Domaine Public via Wikimedia Commons.

Jean Giono libre de droit

Giono a écrit en 1953 une nouvelle intitulée “L’homme qui plantait des arbres”, à laquelle il accordait une importance particulière dans son œuvre, dans la mesure où il s’agissait d’un texte militant pour la protection de la nature et la reforestation. Afin que la nouvelle obtienne le maximum de retentissement, il permit sa vie durant les publications et les traductions, sans demander de rémunération. En 1957, il produisit une lettre qui attestait de manière claire de sa volonté de renoncer à ses droits sur l’œuvre.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les affichistes sans maître de mai 68

La contestation du droit d’auteur faisait partie des slogans de Mai 68. C’est dans cet esprit qu’ont été créées les célèbres affiches du mouvement, au sein de l’Atelier populaire installé dans l’École des Beaux Arts de Paris. Même si on compte certains noms d’artistes célèbres parmi les fondateurs de l’atelier, comme Gérard Fromanger, les affiches sérigraphiées furent volontairement publiées de manière anonyme, pour indiquer leur caractère d’œuvres collectives et “sans maître”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Jean-Luc Godard : “l’auteur n’a que des devoirs”

A plusieurs reprises, le réalisateur de la Nouvelle Vague a fait des déclarations fracassantes dans lesquelles était sous-entendu qu’il ne reconnaissait pas l’existence de la propriété intellectuelle, notamment à l’occasion de la sortie de son Film Socialisme en 2010, comportant plusieurs extraits de films repris sans autorisation.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Nina Paley

Dessinatrice, réalisatrice de dessins animés et activiste de la Culture Libre, Nina Paley a choisi de placer le blog BD Mimi & Eunice, ainsi qu’une mini-BD dérivée, sous une licence de son invention, le Copyheart, qui exprime un renoncement complet à ses droits d’auteur.

Cette position ne l’empêche pas par ailleurs d’expérimenter des modèles économiques innovants, comme le don ou le crowdfunding. Elle considère par ailleurs que le problème du plagiat peut trouver d’autres formes de régulation que la propriété intellectuelle.

Vulnérabilité du domaine public volontaire

On voit donc que pour des raisons artistiques, personnelles ou politiques, certains créateurs souhaitent que leurs œuvres échappent au droit d’auteur. La difficulté, c’est que ce souhait s’avère souvent difficile à faire respecter et que des phénomènes de réappropriation peuvent survenir, en dépit de la volonté exprimée par l’auteur.

La veuve de Tolstoï par exemple s’est longtemps battue pour faire casser le testament de l’écrivain afin de pouvoir toucher des droits sur son œuvre.

La nouvelle de Giono a fait l’objet de réappropriations, certainement après que les descendants de l’auteur aient cédé les droits à un producteur pour réaliser un dessin animé, ainsi qu’à l’éditeur Gallimard, qui s’est appuyé sur ce contrat pour demander le retrait du texte de Wikisource.

Malgré ses déclarations tonitruantes, les films de Godard ne sont pas libres de droits et il n’est plus en son pouvoir de faire en sorte qu’ils le deviennent. Pour les réaliser, il a dû signer des contrats de cession des droits avec des producteurs, qui en sont devenus titulaires.

Avec les affiches de Mai 68, un problème inverse s’est posé. En 2005, une campagne publicitaire des supermarchés Leclerc, qui détournait certaines affiches emblématiques, avait fait polémique. Certains avaient alors estimé que malgré le fait que les créateurs de ces affiches ne revendiquaient pas de droits, la campagne violait une forme de “droit moral collectif” sur ces œuvres et qu’elle constituait une atteinte à un bien commun culturel.

Pour un domaine public volontaire

Cette fragilité et cette difficulté à construire juridiquement le “domaine public volontaire” est loin d’être anecdotique. En effet, il existe actuellement des masses d’internautes qui procèdent à des versements anticipés de leurs créations dans le domaine public, en alimentant par exempleWikimedia Commons ou Flickr avec des photographies placées sous des licences libres très ouvertes (de type CC-BY par exemple).

Creative Commons a également mis en place un outil particulier, Creative Commons Zéro (CC0), qui permet de “dédier” une création au domaine public, en renonçant à toute forme de droit de propriété intellectuelle. Au début de l’année, une traduction en français, réalisée par Framasoft et Veni, Vedi, Libri a été publiée, qui permet de se faire une idée du fonctionnement de cette licence, notamment dans le contexte particulier du droit français.

En effet, en raison de l’inaliénabilité du droit moral, il n’est pas aisé d’admettre en droit français la possibilité d’un versement volontaire au domaine public. Comme l’explique le juriste Benjamin Jean sur le blog de Veni, Vedi, Libri, la licence CC0 contourne cette difficulté en mettant en place un double dispositif de libération des droits :

“Ainsi, la licence Creative Commons Zero (CC-0) agit en deux temps et traduit l’intention des créateurs d’abandonner tous leurs droits de copie et droits associés dans la limite offerte par la loi ou, lorsqu’un tel acte est impossible, d’opérer une cession non exclusive très large. De cette façon le domaine public et le domaine du libre se rejoignent pour ne faire qu’un”.

La licence CC0 est donc une étape dans la reconnaissance de ce “domaine public volontaire”, à laquelle le Manifeste du Domaine Public du réseau Communia avait appelé en 2010.


PS : comme décidément “rien n’est à nous”, je remercie Walter Galvani, alias @at_waloo, de m’avoir signalé l’existence du poème d’Henri-Frédéric Amiel qui m’a donné envie d’écrire ce billet.

PS2: si vous connaissez d’autres cas de renoncement volontaire au droit d’auteur, n’hésitez pas à les indiquer en commentaire de ce billet !


Photos et illustrations :
Illustration principale de la chronique du copyright par Marion Boucharlat pour Owni /-) ; Portrait de Tolstoï par Ilya Repine [Public domain], via Wikimedia Commons ; Bd Mimi & Eunice, épisode  “Permission” par Nina Paley ; Confection de batik par Stereo Sky (CCbyncnd) via Flickr ; Affiche originale 1968 CRS SS par jonandsamfreecycle (CC-byncsa) via Flickr

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L’acte d’accusation contre un Internet libre http://owni.fr/2011/12/20/acta-signature-sopa-culture-droits-auteur/ http://owni.fr/2011/12/20/acta-signature-sopa-culture-droits-auteur/#comments Tue, 20 Dec 2011 07:46:40 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=90789

Le week-end dernier, l’Union européenne a ouvert la voie à l’adoption de l’Anti-conterfeinting trade agreement (Acta). De l’autre côté de l’Atlantique, les députés américains étudiaient en commission le projet de loi Stop Online Piracy Act (Sopa). Deux instruments juridiques aux finalités similaires : filtrer ou bloquer les sites soupçonnés d’encourager le piratage d’œuvres protégées par le droit d’auteur, sans intervention du juge. Traité commercial pour Acta, projet de loi pour Sopa, ces deux initiatives ont également pour point commun d’être soutenus par les industries culturelles et leurs lobbys. Et de vouloir imposer aux intermédiaires techniques (fournisseurs d’accès à Internet, gestionnaires de noms de domaine) d’agir pour bloquer les sites incriminés.

Une lutte pour la préservation du business model des industries culturelles qui se déroulent sur plusieurs champs de bataille, et sur laquelle revient David Post, professeur de droit à la Temple University de Philadephie, et spécialiste des questions du droit de la propriété intellectuelle à l’ère numérique.

Acta en voie d’adoption

Traité commercial négocié depuis plusieurs années , et d’abord sous le sceau du secret, l’Acta menace de transformer en profondeur la législation. Signé début octobre par neuf pays, dont les États-Unis, l’accord vise à renforcer la législation sur les droits d’auteur des pays signataires. Notamment en mettant en place des mécanismes de type “riposte graduée”, tels que le fait l’Hadopi en France.

Soutenu par le gouvernement français, ce traité négocié dans le plus grand secret doit bientôt passer par la ratification du Parlement européen. Pour David Post, Acta et Sopa participent du même processus:

Ce qui est affreux et très fatiguant dans cette bataille c’est qu’elle se déroule sur des fronts différents. Le simple fait d’essayer de se tenir au courant de tout cela prend un temps fou. Il y a tellement de lois, de décret, de traités qui essayent d’attaquer Internet que l’on peut ne s’empêcher de penser que cela fait partie d’un même combat. Et Il est parfois difficile de savoir où porter l’estocade.

Acta est très problématique pour les mêmes raisons que Sopa. C’est peut-être même pire. Le Congrès n’est pas le meilleur lieu de fabrication de la loi que je connaisse, mais il y a un aspect public: il y a des auditions. C’est une mascarade, mais elles ont le mérite d’exister, et c’est un évènement qui poussent les uns et les autres à se positionner. Pour Acta, vous n’avez rien de tout cela !

Malgré l’action de certains collectifs, comme la Quadrature du Net, l’Acta n’est pas à l’ordre du jour du débat public dans les pays concernés par son adoption. Et la mobilisation des acteurs d’Internet est faible, comparée à ce que connaissent les États-Unis avec Sopa.

Sopa : les Internets mobilisés

Pour contrer l’influence des lobbys des industries culturelles, qui ont déjà dépensé plus de 91 millions de dollars en 2011, les acteurs de l’Internet américain se sont mobilisés. De l’Electronic Frontier Foundation aux géants du web (Google, Amazon, Facebook, Yahoo) qui ont acheté un espace pour exprimer leur opposition au projet dans le New York Times, la contestation est importante. Jimmy Wales, le fondateur de Wikipédia, a récemment menacé de fermer temporairement l’encyclopédie en ligne pour contester le projet de loi. Les “pères fondateurs” d’Internet (dont Vint Cerf et Dan Kaminski ont quant à eux publié une lettre ouverte dans laquelle ils dénoncent les velléités de censure du réseau. La société civile n’est pas en reste, à l’image d’initiatives comme American Censorship.

Une mobilisation historique, pour David Post :

Je suis ces questions depuis 1994 et je n’ai jamais vu une telle mobilisation. Il s’agit d’un moment essentiel de prise de conscience de l’importance d’Internet. Les ayant droits défendent leurs intérêts au Congrès et la plupart du temps, personne ne conteste. Ils veulent une augmentation de la durée de protection du droit d’auteur, ils l’obtiennent. On assiste aujourd’hui à une bataille beaucoup plus équilibrée, puisque les industries technologiques sont beaucoup plus puissantes.

Les débats entamés en commission à la Chambre des représentants ont été remis à l’année prochaine. La pression de l’opinion publique semble donc avoir joué son rôle. Pour David Post, les entreprises ne sont pas étrangères à cette mobilisation :

Si Google, Yahoo, Facebok ou Twitter, en tant qu’entreprises, disent “cette loi menace ce que nous faisons, et vous aimez ce que nous faisons”, cela peut être très efficace. Pour la première fois, on les voit s’investir dans le débat. Et le Congrès répond à l’opinion publique. Pas toujours de la meilleure manière, mais c’est possible. C’est un assez joli petit laboratoire de la politique, nous sommes à un moment très excitant, dans lequel nous allons voir quelle place peut prendre Internet dans nos sociétés”.

On remportera cette bataille si l’opinion publique comprend qu’il s’agit de sauver Internet. Les ayants droit doivent se dire qu’ils ont donné un coup de pied à un géant endormi. L’opinion comprend à présent qu’il y a les défenseurs du copyright d’un côté, et ceux d’Internet de l’autre. Et je pense que les gens vont choisir Internet.


Pour compléter, une infographie réalisée par Politico sur l’importance du lobbying aux Etats-Unis, et sur la différence à cet égard entre les entreprises d’Internet et celles représentant les industries culturelles :


Source illustrations

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La révolution de la télé http://owni.fr/2011/11/24/revolution-tele-connectee-internet/ http://owni.fr/2011/11/24/revolution-tele-connectee-internet/#comments Thu, 24 Nov 2011 07:18:59 +0000 Eric Scherer http://owni.fr/?p=88025 La série continue. Avec Internet et la révolution numérique, la destruction créatrice, qui a bouleversé de fond en comble les industries de la musique, de la presse et du livre, s’abat aujourd’hui sur le monde de la télévision. Elle risque d’y être plus rapide et plus rude. Et comme pour les autres vieux médias, la création de valeur risque de se faire ailleurs, mais la destruction chez elle. Avec, de toute façon, un grand gagnant : le téléspectateur, qui deviendra télénaute !

Révolution télévisée

Les signes révélateurs, et puissamment déstabilisateurs pour toutes ces institutions qui se croyaient solidement en place, sont bien les mêmes :

1. Explosion de l’offre. Fin des monopoles de la production et de la diffusion, effondrement des barrières à l’entrée, abondance de nouvelles offres meilleur marché qui séduisent, désintermédiation et nouveaux intermédiaires, recul des revenus traditionnels, nouveaux rapports de force.

2. Nouveaux usages. Rapides et profonds changements générationnels dans le mode d’accès à l’information, la culture et le divertissement, consommés à la demande.

3. Primat de la technologie, de l’expérience sur le contenu — qui n’est plus roi–, et de l’accès sur la possession. Le message, c’est de plus en plus le médium.

4. Démocratisation et prise de pouvoir du public, qui contribue, interagit, programme, coproduit, assemble, commente, recommande, partage.

5. Atomisation des contenus, fragmentation des audiences.

6. Dématérialisation et disparition progressive des supports physiques, piratage facilité par l’usage généralisé du réseau.

7. Déflation. Désintégration des modèles économiques non transposables, modèles de rechange introuvables alors que la demande croît, course à l’attention et au temps de cerveau disponible, migration et éparpillement de la publicité captée par d’autres –souvent à l’étranger–, inquiétudes sur le financement de la création.

8.Bataille pour le contact direct avec l’utilisateur, dont les données sont commercialisées.

9. Certitude et rapidité du changement, de la propagation et de l’appropriation de nouvelles technologies en rupture, instabilité des processus, internationalisation des marchés, marques globales.

10. Conservatisme, défiance, rejet. Sidération et crispation des dirigeants face à la complexité du nouveau paysage, inquiétude des personnels mal armés, résistance corporative et culturelle au changement, impuissance des politiques dépassés, — souvent tous digital tardifs !

Ces dix indicateurs mondiaux de chambardements sont d’autant plus similaires que les frontières entre médias s’estompent au fur et à mesure de l’évolution des technologies et de l’adaptation de différents contenus, qui se chevauchent et convergent sur l’Internet, plate-forme dominante.

D’où ces interrogations :

Les leçons de quinze années de chamboulements douloureux dans la musique et la presse seront-elles tirées ?
La télévision traditionnelle du 20ème siècle résistera-t-elle mieux à la mondialisation numérique et à l’Internet ouvert ?
Saura-t-elle tirer parti de l’appétit croissant du public pour l’image dans une culture de l’écran qui s’installe ? Ou va-t-elle se raidir, s’arc-bouter en cherchant à protéger coûte que coûte – et assez vainement – ses sources traditionnelles de revenus ?
Adoptera-t-elle assez rapidement les nouvelles manières du public de consommer facilement des contenus partout ? Laissera-t-elle le télénaute frustré s’en aller ailleurs regarder plus de contenus sur plus d’écrans ? L’empêchera-t-elle de retransmettre et de partager ?
Pourra-t-elle s’enrichir des nouvelles contributions, des nouvelles formes d’écriture ? Trouvera-t-elle de nouveaux modèles d’affaires ? Saura-t-elle lâcher prise pour se réinventer ?

En schématisant, deux scénarios se dessinent:

Scénario pessimiste :

Au milieu de la déferlante de terminaux connectés, le téléviseur devient un écran parmi d’autres, qui donne accès aux vieux contenus TV, perdus dans des millions d’autres au sein du réseau.

Scénario optimiste :

Internet enchante la télévision qui garde une place centrale. C’est l’âge d’or de la télévision.

A court terme, le second scénario est possible à condition d’accepter que la télévision ne sera plus la télévision telle que nous l’avons connue.

Car si malgré bientôt vingt ans d’Internet, la télévision est en mesure de rester au centre de nos vies au foyer, c’est avant tout parce qu’elle ne répond plus du tout à la même définition qu’avant, et qu’elle va se consommer très différemment.

La télé décloisonnée

D’un écran d’affichage doté de quelques chaînes qu’on parcourt (presque de la vente forcée !), elle est en passe de devenir le cœur de la maison connectée, de se transformer en réservoir d’une multitude de contenus et services logés dans le “cloud”, consommés à la carte et disponibles sur d’autres terminaux. C’est-à-dire, sous peu, la porte d’entrée principale du web et la fenêtre sur tous les contenus. Des contenus d’information, de culture et de divertissement, mais aussi de santé, d’éducation ; des services de communication (visio-conférence) etc…

Mais la technologie est en train de modifier le divertissement. Avec leur ADN très technologique, de très nombreux nouveaux acteurs innovants, dynamiques et surpuissants – souvent déjà des empires mondiaux — travaillent à briser rapidement l’ordre audiovisuel établi pour organiser au mieux cette nouvelle expérience enrichie. Ils inventent de nouvelles interfaces vidéo, agrègent et vendent des contenus créés par d’autres, proposent de nouveaux formats et modèles d’affaires, court-circuitant au passage les tenants de l’ancien système. Même les fabricants de téléviseurs, travestis en agents immobiliers d’écrans, veulent devenir éditeurs !

Tous sont en train de forcer le décloisonnement entre le monde audiovisuel fermé et celui ouvert du web.

Les nouvelles règles de la télévision, dernier écran à ne pas être complètement connecté, sont réécrites sous nos yeux pendant que bascule l’équilibre entre médias et sociétés technologiques au profit des nouveaux redistributeurs, qui ont devant eux un boulevard permis par l’appétit insatiable du public.

Déjà Hollywood, qui espérait en vain que le public achète – même en ligne – et conserve ses productions, se convertit au streaming.

Les accords se multiplient en cette fin d’année entre, d’une part les studios d’Hollywood et les grands networks beaucoup moins dominants, et d’autre part les nouvelles plateformes des géants du web, pleins de cash. Il s’agit d’offrir au public et en streaming films, séries et grands shows TV sur le Web via tous les terminaux possibles. Cette nouvelle diversification des revenus, en plus de la publicité et des opérateurs, permet aussi d’éviter le piège de la concentration de l’offre cinéma et l’apparition d’un acteur central (comme iTunes pour la musique).

Au passage et contrairement à un positionnement technologique initial, Google, YouTube, Facebook deviennent devant nos yeux des médias producteurs et financeurs de contenus propres. Google a d’ailleurs assez d’argent pour racheter tout Hollywood, Apple vaut plus que les 32 banques de la zone euro réunies et Netflix fait des chèques en centaines de millions de dollars.

En sens inverse, pour survivre, les médias et leur ADN fait de contenus, sont forcés avec grande difficulté de se transformer en sociétés technologiques, remplies de logiciels intelligents, sans pour autant comprendre et mesurer l’impact de cette transformation au cœur de leur organisation. Car il ne s’agit plus seulement de publier ou de diffuser, puis d’attendre le lecteur ou le téléspectateur, mais d’offrir le bon contenu, au bon moment, et au bon endroit à un public qui jouit désormais d’une multitude d’offres concurrentes. C’est à dire d’avoir une connaissance presque intime de son audience, de son public, de chaque utilisateur pour créer une expérience pertinente. Tout le contraire d’un mass media ! Le défi est bien désormais de parvenir à offrir du “sur-mesure de masse” !

La réception des contenus à la maison est devenue totalement numérique. Et les chaînes de télévision ne vont plus être les seuls acteurs à pouvoir contrôler les points de contacts entre contenus vidéo de qualité et audiences. Perdant le contrôle de la diffusion, elles ne pourront plus, comme pour la musique, jouer de la confusion commode entre mode de distribution et contenus eux-mêmes. Elles ne pourront plus imposer leurs grilles de programmes, et sans doute, assez vite, leurs chaînes.

Le prime time, c’est tout le temps et partout !

L’accès ubiquitaire aux contenus audiovisuels va vite devenir une réalité pour le public où qu’il soit dans le monde. Comme le disait l’un des pères de l’Internet, Vint Cerf, la TV approche de sa phase iPod. La distribution numérique et multi-écrans de programmes TV via Internet se généralise. Le cloud arrive à la maison. Et comme le télénaute souhaite désormais ses contenus TV aussi bien sur son PC que sur sa tablette, son smartphone ou sa console de jeux, il faudra l’aider à les trouver. D’où l’importance cruciale des métadonnées pour faciliter distribution et placement judicieux des contenus.

Les fabricants de téléviseurs étant plutôt lents à réagir, tous les géants du web travaillent aujourd’hui à un “relooking” de la télévision facilitant les passerelles avec l’Internet et tous les terminaux : Google et la V2 de sa Google TV, Microsoft et bien sûr Apple. Mais aussi les opérateurs de télécommunications, notamment en France, leader mondial de l’IPTV.

Chacun tente d’organiser le mieux possible la nouvelle expérience télévisuelle, la “lean back experience” (usage d’un écran en position relax).

Les modes d’accès de la découverte des contenus TV – imposés jusqu’ici par des chaînes— se multiplient et laissent la place aux nouvelles pratiques culturelles de la génération Internet : recherche, recommandation et jeu. Comme ailleurs, la consommation à la carte remplacera le menu, les conseils des amis prendront le pas sur les magistères, l’interaction ludique sur la consommation passive. Les ” watchlists” vont s’ajouter aux “playlists”.

Certains chercheront la martingale avec un media hybride parfait, d’autres se contenteront de faire ce qu’ils savent le mieux, sans vouloir tout accomplir. Mais le triptyque mobile / social / vidéo sera désormais au cœur des stratégies.

L’accompagnement actif des flux et du direct TV par une partie de l’audience et sur un second écran se met en place massivement sous l’appellation “Social TV”. Rapidement, il met le télénaute – devenu acteur – au centre du dispositif et des programmes. Facebook et Twitter enrichissent l’expérience TV par une nouvelle conversation en temps réel autour des émissions. Et la communion n’a pas nécessairement lieu au même moment. Dans une culture de retransmission, c’est le partage qui devient fédérateur, et le public qui devient auteur, éditeur, coproducteur et bien sûr, commentateur. Aux créateurs et producteurs traditionnels désormais d’y penser en amont. Comme à l’enrichissement contextuel, consommé sur un second écran, et qui permet aussi d’en savoir plus.

La télévision, c’est avant tout du divertissement fédérateur, tandis que l’ensemble ordinateur/smartphone/tablette permet d’abord l’accès à la connaissance et à la communication. Le mariage des deux univers suscitera probablement l’émergence de nouvelles écritures par de nouveaux acteurs dans un paysage recomposé … En tous cas moins de contenus prétendus « légitimes ». Et c’est tant mieux !

A la recherche de modèles économiques de rechange

De nouveaux modèles d’affaires peinent à émerger. Mais les nouveaux agrégateurs / redistributeurs s’appuient sur leurs avantages compétitifs habituels : facilité à répliquer à grande échelle et capacité à rendre leurs utilisateurs captifs.

Dans le même temps, l’audiovisuel défend bec et ongles ses revenus traditionnels. Tout le monde court donc après la manne publicitaire de la télévision, toujours énorme par rapport aux autres médias. Mais la gestion des droits, notamment en streaming, augmente les incertitudes, et surtout, les perspectives de retour dans la récession inquiètent. Chacun sent que la migration vers la publicité en ligne – qui n’en est qu’à ses débuts — en sera favorisée. Le marché des applications aussi.

Le modèle “sur-mesure de masse” provoque une rude bataille pour obtenir le contact final avec le télénaute (facturation) et sa connaissance intime (pub ciblée) : HBO a bien plus de 25 millions de téléspectateurs mais ne les connaît pas, contrairement à Netflix, à Canal+, ou aux opérateurs de “triple play”en France. Gare aussi à la bataille annoncée pour la première page des magasins d’applications.

Mais la télévision semble éviter deux écueils majeurs payés cash par la musique et la presse : elle apparaît moins lente à proposer une offre légale en ligne (qui enrayera le piratage) et elle est en mesure de faire payer des contenus numériques, même si la vidéo en ligne rapporte peu pour l’instant. Et puis, les gens capables de produire des films et des séries sont quand même moins nombreux que les créateurs de musique ou de texte en ligne ! Le public passe plus de temps à retransmettre qu’à créer des contenus. C’est une chance pour les professionnels. N’oublions pas l’époque où dans la musique, pirater voulait dire enregistrer un disque vinyl sur une cassette vierge !

Les atouts de la télé

Après un web de publication (années 90), puis le web social contributif (2.0), arrive aujourd’hui le web audiovisuel et de divertissement (“lean back”) où la vidéo joue un rôle central et où tout le monde participe. Mais la valeur a migré des créateurs aux agrégateurs de contenus. Sans différentiation et valeur ajoutée, le prix des contenus tend vers leur coût marginal. C’est-à-dire, dans le numérique, proche de… zéro.

La télévision tente de donc déplacer et réinventer sa valeur autour de quelques axes :

1 – La qualité, le soin et la rigueur de l’écriture des séries de fiction : nouvel âge d’or de la TV. L’air du temps culturel (Zeitgeist) est aujourd’hui aux grandes séries de qualité (Mad Men, The Wire, Les Borgia …) devenues, à l’époque Internet, des phénomènes sociologiques de reconnaissance plus fédérateurs que le livre ou la musique. Nous nous retrouvons sur Facebook et partageons volontiers un frisson commun pour une série. Correspondant bien à notre temps d’attention disponible, elles offrent des performances artistiques de très haut niveau : scénario, mise en scène, grands acteurs, dialogues, réalisations, montage, etc… Mais la France y est en retard.

HBO, avec ses séries originales, populaires et innovantes de très grande qualité, constitue une des forces actuelles de la création audiovisuelle américaine et a largement contribué à redéfinir l’offre culturelle tout en forçant les autres chaînes à hausser leur niveau de jeu. Même tendance au Royaume Uni ou en Espagne.

Les créateurs et détenteurs de droits n’ont donc pas dit leur dernier mot. Car s’il est désormais crucial de s’allier avec les nouveaux distributeurs, ceux-ci ne peuvent rien sans des contenus de qualité. Mais le monde traditionnel de la création, qui vit en circuit fermé, a encore du mal à parler avec le monde de l’Internet. Les rapports de force seront cruciaux, y compris avec le législateur et le régulateur.

L’offre de contenus exclusifs et de haute qualité, où le paiement n’est pas tabou, éloigne les risques de nivellement par le bas. Mais il faudra éviter de croire que la qualité est propre aux chaînes et gare au “good enough is perfect” : des offres meilleur marché très acceptables (iPod, iTunes, Netflix …) ont prouvé qu’elles pouvaient s’imposer !

Quand on se bat pour l’attention des gens, sollicitée par des millions d’autres possibilités, vous avez intérêt à vous assurer qu’ils continueront de venir chez vous !

2 – Les grands directs et les grands événements fédérateurs, en sport, politique, talk-shows, spectacles vivants, sont encore des valeurs sûres du savoir faire des grands acteurs traditionnels de la télévision, notamment en raison de la détention des droits. La fraîcheur des contenus peut aussi être valorisée. La téléréalité de qualité également. Elle a permis la première vague d’arrivée massive du public dans les émissions et les programmes.

3 – La TV partout ou le multi-écrans. C’est la stratégie de Time Warner qui constitue à systématiser l’offre sur absolument tous les supports et en toutes conditions (Web, mobilités, réseaux sociaux, applications, câble, satellite, IPTV, etc…). La facilité d’accès est le premier service. La multiplication des points de contact favorisera les possibilités de monétisation. La prolifération de magasins de vidéos en ligne est une opportunité pour les riches catalogues des chaînes de télévisions et des producteurs de contenus vidéo. Cette tendance encouragera la fragmentation des contenus, le “cord cutting” du câble et des telcos, et accélérera le déchaînement … des chaînes.

4 – La TV traditionnelle, éditeur repère. Submergé par l’hyper-offre déferlante de contenus de qualité diverse, et donc confronté à l’hyper-choix, le télénaute sera en quête de repères, de tiers de confiance, qui l’aideront à remettre de l’ordre, à faire des choix, thématiser, réduire le bruit, s’éloigner du piratage. La certification et le sérieux apportés par des marques –encore familières– sauront l’accompagner et répondre à un nouveau besoin de médiation avec l’assurance d’une expertise reconnue. Cette dernière devrait être mise à profit pour organiser aussi l’offre des tiers, aider à trouver les contenus, leur donner du sens. Dans un nouvel univers inédit d’abondance, la qualité des contenus alliée à la clarté et la simplicité d’usage deviendront aussi, rapidement, de nouvelles valeurs ajoutées gagnantes.

5 –Favoriser la recherche et développement. Pour les programmes, les émissions, la publicité. Mettre le public en amont dans la conception et la production. Préparer à la source des expériences médias qui s’adaptent à la nouvelle vie des gens. Accepter de coproduire et de perdre un peu de contrôle. Partager et se familiariser à la grammaire des nouveaux médias, à la littératie numérique. Dire contenu à la place de programme, c’est aussi transformer la télévision.

Parallèlement, et c’est leur caractéristique, la disruption numérique et la révolution Internet se déroulent extrêmement rapidement, plus vite, souvent, que notre capacité d’adaptation. Sous nos yeux se créé une nouvelle culture digitale d’individus connectés entre eux, qui sont aussi dépendants du réseau que nous le sommes de l’électricité.

Aux Etats-Unis, les emplois dans les médias numériques sont désormais plus nombreux que dans le secteur de la télévision du câble. Facebook et son écosystème d’applications aurait déjà généré plus de 200.000 emplois et contribué pour plus de 15 milliards de dollars à l’économie américaine. Google, qui tire plus de 95% de ses revenus de la pub, réalise deux fois le chiffre d’affaires de toute l’industrie mondiale de la musique, Kodak a fait faillite, tweet et Twitter sont entrés dans le Petit Robert, le “hashtag” devient un code du langage.

Quelques raisons de rallumer

Arrivée de l’ubimédia. Le “cloud” nous offre de larges capacités de stockage et de bande passante en supprimant la nécessité d’installer et de maintenir des logiciels ; les smartphones et tablettes facilitent l’accès ubiquitaire aux contenus et services; les réseaux sociaux multiplient les connexions horizontales professionnelles, personnelles et les collaborations au delà des frontières.

Les géants Google, Microsoft, Apple, Amazon, Facebook… sont de plus en plus mondiaux, de moins en moins américains. Les internautes des grands pays émergents (Chine, Inde, Russie, Iran, Nigéria, Brésil) de plus en plus nombreux. Il y a aujourd’hui plus d’utilisateurs de réseaux sociaux qu’il n’y avait d’internautes en 2006 ! Ils sont 800 millions (dont un Français sur trois) sur Facebook, qui, au centre du web est devenu l’OS de nos vies connectées ! Le temps passé sur les médias sociaux dépasse désormais celui des grands portails.

Et comme les autres, les Français passent de plus en plus de temps, sur de plus en plus d’écrans.

Grâce au design, Steve Jobs a fortement contribué à transformer l’informatique en industrie culturelle, à la faire sortir du bureau pour irriguer et enrichir nos vies, à la maison, en déplacement, à changer le vocabulaire média. Les chansons deviennent des listes, les abonnements des applications. Il a privilégié la forme sur le fond, l’esthétique et l’accès sur les contenus. Après les interfaces textes, puis graphiques, le regard, le toucher, la voix, les gestes, sont mis à contribution. Déjà, la réalité augmentée enrichit des expériences médias.

Le boom de la mobilité. L’Internet sur soi défie la récession : la progression des utilisateurs de 3G a fait un bond de 35% en un an dans le monde. Dans les pays riches, 40% de la population possède un smartphone, dont les ventes dépassent désormais celles de portables classiques.

Les tablettes et les smartphones sont plus vendus que les ordinateurs. Les iPads plus demandés que les iPhones ou iPods. Les claviers physiques disparaissent. Le monde applicatif gagne du terrain. La publicité et les grands annonceurs s’y mettent. Les objets mobiles de plus en plus connectés et intelligents renforcent l’autonomie des individus. L’informatique est de plus en plus personnalisée, souvent malgré soi.

Médias sociaux en temps réel. A chaque seconde nous racontons aux autres nos vies et nos rêves. Les médias traditionnels comprennent qu’il ne suffit plus que les gens viennent à eux : il faut aller aussi à leur rencontre. Et aujourd’hui, les gens sont sur Facebook, lieu de consommation et de partage privilégié de contenus, qui a quasiment annexé le reste du web et risque bien de devenir rapidement le distributeur incontournable de médias. L’immédiateté est la nouvelle unité de temps, l’attention la nouvelle monnaie et les données le nouveau pétrole.

“Big data”, data farming. Les données sont désormais vitales pour chaque entreprise. Leur collecte et leur analyse vont déterminer les nouveaux modèles d’affaires, notamment pour le ciblage comportemental. Les métadonnées accolées aux contenus vidéo vont devenir le nouveau lubrifiant indispensable du nouvel écosystème. Mais l’utilisation croissante des données personnelles par les grands, Google, Facebook, Amazon, suscite des craintes croissantes. La protection des données personnelles devient un enjeu crucial, notamment à l’heure de l’essor des technologies de reconnaissance faciale.

Mais rien n’est garanti. La bataille entre Internet ouvert et univers contrôlés fait rage : ni Facebook, ni l’iPad, ni la Xbox ne sont des espaces ouverts. L’accès de tous aux contenus et au réseau est aussi menacé, alors qu’Internet est un bien stratégique d’intérêt public. L’égalité de traitement de tous les flux de données, qui exclut toute discrimination à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information transmise sur le réseau, devrait être garantie par les pouvoirs publics.

La télé mute avec nous

Les supports physiques de l’information et des médias semblent arrivés au bout du chemin. Les téléviseurs, eux-mêmes, risquent de disparaître pour se fondre dans notre environnement. Des interfaces existent déjà pour intégrer les images animées et sonorisées dans un miroir, une table en verre. Demain, avec un nouveau design, elles seront partout (sur nos murs, vitres, mains…) pour des expériences médias qui se dissoudront tout au long de la journée dans nos vies, sans rester confinées à un objet ou liées à un moment précis. Grâce à la reconnaissance vocale, elles se commanderont à la voix.

C’est le pronostic d’arrivée de l’information dématérialisée et ubiquitaire : nous serons immergés en permanence dans un univers informationnel où l’information sera disponible partout, tout le temps. Un univers qui s’inscrit bien sûr dans un monde de plus en plus connecté, où l’intégration off et online, notamment en mobilité, va s’accélérer, tout comme la fusion des usages entre nos vies privées et professionnelles.

Nous sommes tous des télés !

Internet a fait du texte, de la photo, de la vidéo des objets banals, peu coûteux à produire et faciles à transmettre. Nous sommes tous devenus des médias, et nous serons bientôt tous des télés ! Chaque entreprise, ministère, club sportif, acteur de cinéma, petit commerçant ou quotidien régional aura son application sur le téléviseur, comme ils ont tous leur site web et leurs applis smartphone ou tablette.

C’est donc dès maintenant – pendant l’installation de coutumes nouvelles – que les acteurs traditionnels doivent privilégier une stratégie offensive et embrasser ces usages en accompagnant le public avec leurs marques fortes. Si elles sont absentes, le télénaute ira voir ailleurs. Rappelez-vous, il n’y a déjà plus de chaîne hifi au salon, mais il y a encore de la musique !

Gare au danger de voir encore s’accroître le fossé déjà important entre la société et une offre TV dépassée, où le public ne se retrouve déjà plus. Attention donc au manque criant de pertinence d’intermédiaires obsolètes continuant à proposer des pains de glace à l’époque des réfrigérateurs. Et il y a danger de croire que l’ordre établi pourra continuer, seul, de contrôler un paysage si changeant et si complexe. La télévision est furieusement contemporaine si elle est enrichie et “smart” !

Ce n’est donc pas la fin de la télévision, mais la naissance d’une toute nouvelle TV, qui n’a rien à voir avec celle des années 80. La convergence actuelle de la télévision et d’Internet est une chance pour rapprocher les citoyens, les accompagner, les mettre en contact avec des services jusqu’ici isolés, partager les connaissances, leur permettre de prendre davantage part au monde de demain qui se met en place aujourd’hui.

Il s’agit bien d’une révolution culturelle.


Article initialement publié sur Meta-media


Photos et illustrations via Flickr : PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales jaygoldman, PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Danny McL, PaternitéPas d'utilisation commerciale fd

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La voiture individuelle: une idée bonne pour la casse! http://owni.fr/2011/06/28/la-voiture-individuelle-une-idee-bonne-pour-la-casse/ http://owni.fr/2011/06/28/la-voiture-individuelle-une-idee-bonne-pour-la-casse/#comments Tue, 28 Jun 2011 09:26:06 +0000 Bruno Marzloff et Aladin Mekki (Groupe Chronos) http://owni.fr/?p=71079 Ce dossier en trois volets explore la mutation du marché automobile. Que comprendre des signes que ne cesse de produire la demande ? Qu’entendre derrière ces initiatives brouillonnes de l’offre ? Quelle place pour les autorités dans ces perspectives de maîtrise des mobilités ? Quid du jeu d’acteurs qui chamboule les positions bunkerisées des constructeurs ? Comment le numérique urbain rend-t-il possible techniquement et économiquement des innovations de rupture ?

#1 La flambée des ventes en Chine, Inde… masque les reculs des marchés en Europe, Etats-Unis et un ralentissement de la croissance chez les premiers… Les mêmes causes produisant les mêmes effets, des signes de saturations se multiplient déjà en Chine.

#2 Les incitations fiscales des états agissent comme “effets d’aubaine” et reculent le constat d’une dégradation de la demande. Quand les pouvoirs publics prendront-ils la mesure de l’opportunité d’une filière productrice de valeurs et d’externalités positives ?

#3 Le glissement du marché vers des modèles de taille réduite et des modèles low cost masque une baisse en valeur du marché et une dégradation de l’auto comme produit phare des consommations. Pourquoi cet acharnement d’une logique consumériste des constructeurs quand les usagers réclament le droit d’usage ?

#4 La progression des ventes vers les flottes dissimule la chute des ventes aux particuliers. Début de l’ère des partages ?

#5 La stagnation du parc des véhicules particuliers cache une baisse des usages automobiles en portée et en fréquence. Quand la baisse des usages se convertira-t-elle en achats de services ?

#6 La stabilité de ce parc est trompeuse car si les zones captives de la voiture consolident leur demande, celle-ci s’érode depuis un certain temps dans les grandes villes. Quand la dimension contraignante des villes s’étendra t-elle aux autres territoires pour produire là aussi de l’innovation ?

#7 La vision d’une flotte électrique ne peut masquer qu’une voiture reste une voiture, avec des séquelles qui dépassent les maigres bénéfices de l’électrique. Quand les constructeurs admettront-ils que la valeur se déplace de l’objet – même électrique – au service ?

#8 Last but not least, derrière l’apparente crispation des automobilistes sur “leur” voiture personnelle, on entrevoit un puissant crédit d’avenir des usages de la voiture publique et de la VDA (la “voiture des autres”). Comment transformer ce désir en offres pertinentes ?

La batterie de constats (“Peak-Car” ou les futurs de l’auto) pose plus de questions qu’elle n’en résout. À tout le moins, on sait que le marché réagit à la première alerte du prix du carburant ou quand l’État dégaine ses subventions ou encore lorsque les congestions se font insupportables.

In fine, mêmes les instances publiques en conviennent par le truchement du Centre d’analyse stratégique :

Le système automobile tel qu’il s’est bâti au fil du 20e siècle n’est plus soutenable.

Les constructeurs aussi se rendent à l’évidence : « Pour Vincent Besson, directeur du plan produit de PSA, c’est la première révolution copernicienne du secteur. ‘Nous devons passer de la voiture à la mobilité’. » (Next/Libération, 4 juin). Les mêmes mots, à un mot près (« Nous devons passer du transport à la mobilité »), répété à l’envi depuis des années par Georges Amar et sous d’autres formes dans ces colonnes. Cela passe, qu’on le veuille on non, par le « peak car », c’est-à-dire l’inverse de ce qui se fait depuis un siècle, donc renier les canons de la croissance et l’extension du parc. Dieu qu’il est difficile de se tirer une balle dans le pied !

Un espace sur-occupé par une voiture sous-utilisée

Il faut donc s’attendre à des changements de cap majeurs. Au premier janvier 2010, le parc automobile français comptait 37,4 millions de véhicules, soit près de 600 voitures pour 1.000 habitants. Plus d’une voiture pour deux habitants pour des véhicules comportant en général quatre ou cinq places, plus de 60% des ménages qui détiennent au moins une seconde voiture, et cela dans un pays où la population est urbaine à 82%

Même en tenant compte de l’étalement urbain et de l’inflation des déplacements, on comprend vite que l’équilibre de l’équation « parc disponible = nombre de déplacements et ± nombre de places de stationnement » se fait au prix d’une large sous-utilisation du parc et d’une non moins large sur-utilisation du stationnement urbain. Les modes de vie épousant ce modèle ont renforcé la logique de la voiture individuelle et de « la ville occupée » (par la voiture). On ne connaît pas la source du chiffre de 5% de taux d’utilisation moyen d’une voiture, mais il est largement repris et semble intuitivement correct. On sait en revanche que le taux d’occupation de la voiture en usage est dérisoire (1,1 personne par voiture pour les trajets pendulaires et 1,6 pour les déplacements liés aux loisirs).

C’est là que se joue la suite de l’histoire, dans la recherche d’autres productivités. Mais ces dernières bousculent radicalement des modèles d’usage bien établis, des modèles économiques lourdement ancrés, un cadre social qui a puissamment intégré la voiture et un territoire dont l’architecture a pris appui sur son développement. Aujourd’hui le premier vacille, les seconds chancellent, le troisième doute fortement et le quatrième est essoufflé. Revue d’une prospective du présent en adoptant une lecture volontariste, la seule qui vaille en la matière.

En France, les loueurs traditionnels, avec un parc de 150.000 automobiles, entreprennent d’explorer d’autres modèles. Ils ne sont pas les seuls. Selon l’EPOMM, il y aurait plus de 400.000 abonnés à un service d’auto-partage en Europe, principalement en Suisse (Mobility), en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique et au Royaume-Uni. De son côté, Frost & Sullivan prédit que 5,5 millions d’Européens souscriraient à un programme d’auto-partage en 2016, soit – selon l’institut – quelques 77.000 véhicules en auto-partage. Qui assurera la gestion de ces flottes et dans quels modèles ? Constructeurs et prestataires en tout genres guettent les opportunités.

L’auto-partage est une solution d’avenir pour 47% des Français, 60% accordent un crédit d’avenir au covoiturage tandis que seuls 18% accordent le même crédit à la voiture particulière ; 82% des français ainsi pensent qu’il faut diminuer le nombre de voitures circulant dans les villes (TNS Sofres, “Auto-mobilités”, 2010). Chacun entrevoit derrière ces chiffres un marché de services énorme mais tous tâtonnent. Impossible en l’état de tracer des lignes entre les modèles émergents. Covoiturage, auto-partage public, privé, location de courte durée, transport à la demande, taxi collectif… les issues sont multiples et le resteront sans doute.

Face au modèle monolithique de la voiture particulière, tout dit que les offres seront demain plurielles pour offrir la plus grande flexibilité et s’adapter aux multiples situations de mobilité. Pour autant, les avancées s’opèrent dans la confusion. La plainte de l’Union des Loueurs professionnels contre Autolib’ souligne la remise en cause des périmètres acquis. Ils ne cesseront de l’être dans cette quête d’équilibre. Tour d’horizon des partages et des remises en cause.

Moins de ventes, plus de services

Un analyste américain recourt à la métaphore du schéma de Ponzy (cf. Madoff) pour signifier la fuite en avant insoutenable mais pourtant irrépressible des infrastructures publiques. La seule solution pour éviter une dégringolade de la Pyramide est de trouver des solutions de productivité drastiques ; non dans le carburant ou la motorisation mais dans le service de la voiture. « On peut tripler ou quadrupler la capacité du système routier », affirme The Transport Politic, en animant le partage automobile.

Faire de l’auto une ressource collective et améliorer sa productivité, là s’arrête la ressemblance entre les offres. Le covoiturage partage des trajets ; l’amélioration de la productivité qu’il apporte tient à l’augmentation du « taux d’occupation » du véhicule et donc à la réduction du nombre de voitures en circulation à un même moment. Avec l’auto-partage, on agit sur le « taux d’usage », soit le nombre de déplacements. Les résultats pour la collectivité sont les mêmes. Pour cumuler leurs effets et maximiser « le taux d’utilisation », il faudrait que le système soit sacrément huilé. Ce qu’il n’est pas encore.

On commence à entendre que les taxis déclinent ces principes depuis longtemps et peuvent consolider leur statut de transports collectifs; d’autres systèmes aussi – moins répandus – comme le transport à la demande – se proposent. Des développements sont à attendre sur des registres divers : accessibilité, stationnement, retour au point de départ, abonnement, tarif, places de marché et plus généralement toutes les formes d’intégration de la voiture au marché unique des mobilités.

L’innovation se développe grossièrement sur deux voies très différentes, voire antinomiques. La voie classique, portée par la modernité de la machine, explore les petits modèles, le carburant électrique, la sobriété énergétique, les automatismes… L’autre piste admet que le salut de la voiture n’est plus dans l’objet. Donc on parle « modèle ». Tiraillés entre la logique industrielle et capitalistique d’une fatalité de la croissance d’une part et un modèle serviciel qui signe la décroissance à terme des ventes, les constructeurs sont forcément schizophrènes et les acteurs concurrents sont en embuscade, voire déjà dans la place.

Ainsi, ce n’est pas un constructeur qui signe la première grande opération publique-privée d’auto-partage. Avec Autolib’, Bolloré investit 200 millions d’euros – autant dans la batterie que dans des modèles d’usage actuels –, prenant des risques qu’aucun constructeur n’envisageait. « Notre hypothèse, dit Vincent Bolloré aux Echos, c’est que nous compterons plus de 100.000 abonnés au bout de la troisième année et neuf utilisateurs par jour et par voiture soit à peu près neuf heures d’utilisation journalière d’un véhicule. A partir de là, nous commencerons à gagner de l’argent. » Sans doute optimiste !

Ce n’est pas non plus un constructeur, ni même un loueur, qui prend un autre risque – celui de l’autopartage privé, au milieu d’autres initiatives – c’est un réseau de… mobilités, Mobivia. Ces différences de logiques et de trajectoires troublent un marché établi et se concluent dans une offre hétérogène, souvent brouillonne. L’innovation bat son plein avec des modèles loin d’être stabilisés. Quels acteurs tireront leur épingle du jeu ? Ceux qui auront une vision globale, car toutes ces offres s’inscrivent dans une logique de « gestion de flotte » professionnelle et particulière, elle-même enchâssée dans un « marché unique des déplacements ».

La voiture, un transport en commun en devenir ?

Le récent succès de l’introduction du pionnier ZipCar à la bourse de New York étonne quand on sait que l’entreprise est déficitaire depuis dix ans. Il étonne moins quand on connaît son expansion régulière, l’enthousiasme des usagers, sans oublier la récente rafale d’annonces dans ce secteur (une chronologie de l’autopartage sera publiée dans le volet 3). Les loueurs automobiles étaient concentrés sur des locations de longue et moyenne durée adressée aux entreprises. Pour les locations au fil de l’eau (en France, dix millions de locations l’an passé, en augmentation de 6,7% sur un an), la clientèle bascule brutalement vers les particuliers et vers les jeunes. La clientèle loisirs génère désormais 60% de l’activité contre 30% il y a 15 ans (source Les Echos).

La prochaine étape est celle de la flexibilité – des durées courtes et variables – et de la complétude – la couverture garantie des divers usages. L’auto-partage classique en effet n’y suffit pas. Il ne fait qu’une partie du chemin, celui des déplacements de proximité. On peut avoir aussi besoin d’une voiture pour un week-end ou des vacances. Plusieurs y ont pensé. Sauf qu’aucun réseau n’a la granularité suffisante pour servir toutes les occurrences et toutes les échelles de mobilités. Cela soulève les enjeux de la station, du stationnement et de leurs réseaux, condition incontournable des développements des partages et d’une marché intégré des transports.

L’auto-partage rend accessible un parc de voitures en location de très courte durée, à l’image du Vélib’ pour les vélos. Les options – avec retour à la base ou non, communautaire ou non, électrique ou non, intégré ou non, privé ou public… – multiplient les combinaisons. De fait, la location très courte durée n’est plus loin de l’auto-partage public, posant la question de son statut. Hors c’est précisément la raison pour laquelle les loueurs ne veulent pas reconnaître la mission de service public accordée à Autolib’. Face à cette situation, en Amérique du Nord la Car Sharing Association entend consolider la dimension éthique de l’auto-partage, excluant les sociétés de location (voir l’entretien Chronos de Marco Viviani, Communauto).

La ville d’Hoboken aux Etats-Unis a mis en place un service d’auto-partage avec Hertz pour affronter les limites insurmontables du stationnement. C’est dire le rôle crucial du stationnement dans l’auto-partage. C’est la chance des partages : garantir des places de stationnement pour les voitures servicielles. La maîtrise du stationnement en surface est aussi l’opportunité que les villes doivent saisir pour orienter le marché. Le stationnement préférentiel accordé à Autolib’ (750 euros la place, soit 2 € par jour) signe sa mission de service public. Ce tarif s’analyse comme une subvention quand il est mis en balance avec le coût de création d’une place de parking souterrain à Paris, 20.000 € à 30.000 €. La voiture devient un service public de facto.

L’objectif est alors de trouver un nouvel équilibre entre l’espace (fixe ou mobile) dédié à la voiture en ville et aux autres modes qui en ont cruellement besoin. Donc favoriser la réduction progressive de l’emprise de stationnement pour les voitures particulières, si l’analyse est conséquente. L’histoire parisienne récente montre la voie. A Paris, on est passé de « gardez votre voiture, mais ne l’utilisez pas » (incitation au parking résidentiel), à « si vous circulez, ce sera moins vite » (la multiplication des zones 30). Il manque encore de franchir un pas vers « et si vous circuliez autrement » qu’esquisse timidement Autolib’. Une question de temps. L’épisode récent du recul politique sur l’affaire des radars rappelle qu’il faut être habile à la manœuvre pour franchir les étapes suivantes.

Les automobilistes sont plongés dans de multiples contradictions, enkystés dans un siècle de pratiques assidues d’un système automobile qui a façonné leur quotidien et redessiné leur territoire. Résultats ? Ils évaluent leur budget automobile à moins de la moitié de sa réalité. Ils se réclament des valeurs de la liberté automobile, oubliant le stress des congestions. Ils célèbrent la résidence à la campagne en se masquant les budgets temps, pollution et économie des servitudes automobiles. Et soulignent, à juste titre, l’absence d’alternatives. Ils réclament furieusement moins de voitures, au moins en ville, depuis longtemps mais persistent dans son usage. En 1998 déjà, La vie du rail titrait en double page, « Les Français sont croyants mais pas pratiquants. » Si les dimensions utilitaires de la voiture prennent le pas sur ses valeurs statutaires et ses promesses imaginaires, tout reste à faire. Mais il semble bien que le « peak car » ne soit plus loin. A suivre…

Billet publié initialement sur le blog de Groupe Chronos sous le titre “Peak-Car” ou les futurs de l’auto (1) et Du Parc à la Flotte ou les futurs de l’auto (2).

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Partage, P2P… bienvenue dans l’économie collaborative! http://owni.fr/2011/05/17/nouvelle-economie-partage-consommation-collaborative-p2p/ http://owni.fr/2011/05/17/nouvelle-economie-partage-consommation-collaborative-p2p/#comments Tue, 17 May 2011 09:02:54 +0000 Antonin Léonard http://owni.fr/?p=62871

Un jour, nous regarderons le XXe siècle et nous nous demanderons pourquoi nous possédions autant de choses

affirmait récemment Bryan Walsh dans TIME Magazine qui consacrait  la Consommation Collaborative comme l’une des dix idées amenées à changer le monde. L’économie du partage se propage : du transport aux voyages en passant par l’alimentation, le financement de projets et la distribution, tous les secteurs ou presque voient cette nouvelle économie émerger. Pourquoi acheter et posséder alors que l’on peut partager semblent dire des millions d’individus. Les statistiques sont éloquentes, nous explique Danielle Sacks dans l’un des articles les plus complets sur l’émergence de l’économie du partage :

Alors que plus de 3 millions de personnes dans 235 pays ont déjà « couchsurfé », ce sont plus de 2,2 millions de trajets en vélo libre-service (tels que le Velib’ à Paris) qui sont effectués chaque mois dans le monde.

Tandis qu’Airbnb annonçait il y a quelques mois avoir dépassé le million de nuits réservées sur son site, en France, c’est covoiturage.fr qui a récemment franchi la barre du million de membres inscrits. Etsy, la plateforme C to C de référence pour vendre ses créations originales et artisanales, diffuse ses statistiques chaque mois dans la plus grande transparence et on les comprend, tant les chiffres sont impressionnants : 40 millions de biens vendus pour les 3 premiers mois de l’année, soit 77% de plus qu’à la même époque en 2010 et presque 400.000 nouveaux membres s’inscrivent chaque mois.

Neal Gorenflo, fondateur et rédacteur en chef du magazine Shareable m’expliquait récemment lors d’un échange qu’il m’a accordé :

On se rend compte que ce mouvement n’est pas qu’une tendance passagère. Les publications se multiplient, les consultants commencent à s’intéresser au phénomène, les politiques envisagent de nouvelles lois pour favoriser le développement de cette économie du partage, les startups font des levées fonds impressionnantes : tout converge pour nous faire dire qu’une nouvelle économie est vraiment en train d’émerger.

Alors que le secteur du prêt entre particuliers vient d’atteindre la somme de 500 millions de dollars aux États-Unis, les startups du partage enchaînent les levées de fond : 7 millions pour Thredup, site internet de troc de vêtements et de jouets pour enfants ; 1,2 million pour Gobble, qui a un modèle proche de Super-Marmite et permet de réserver et d’acheter des plats fait maison près de chez soi) ; 1,6 million pour Grubwithus, qui propose un service de colunching ou social dinner, mélange de Meetic et de Groupon.

De par la maturité des usages des nouvelles technologies et des applications mobiles, San Francisco et la Bay Area sont à la pointe de cette nouvelle économie qui prend de l’ampleur, au point que ces pratiques dépassent aujourd’hui le cadre des startups et intéressent les acteurs les plus traditionnels.

Distributeurs et constructeurs automobiles ont été les premiers à investir cette économie du partage. IntermarchéCastoramaIkea, proposent déjà aux gens de covoiturer, d’autres seraient en réflexion très avancée pour proposer des dispositifs de troc et de partage. Du côté des constructeurs automobiles, BMW a récemment fait une entrée remarquée en proposant une vraie solution d’autopartage (Volkswagen lui a emboîté le pas il y a quelques jours à peine), Peugeot et Citroën ont déjà lancé leurs offres de mobilité : respectivement Mu by Peugeot et Multicity ; enfin Norauto, qui est devenu Mobivia, s’est complètement réorganisé pour devenir un opérateur de mobilité : le lancement de Buzzcar (plateforme d’autopartage entre particuliers) par Robin Chase (fondatrice de Zipcar, leader mondial de l’autopartage et classée parmi les 100 personnalités les plus influentes par le TIME en 2009) étant l’illustration la plus notable de cette nouvelle stratégie.

« Les constructeurs automobiles qui voient l’autopartage comme une menace perdront du poids dans ce paysage en évolution » professe ainsi Shelby Clark, fondateur de Relay Rides (pionnier de l’autopartage entre particuliers outre-Atlantique).

Comment les secteurs les plus traditionnels répondront à ces évolutions ? Bien malin celui qui peut répondre à cette question. Une chose est néanmoins certaine : « il sera fascinant de suivre quels nouveaux modèles seront développés à partir des systèmes de Peer-to-Peer*, et quels secteurs traditionnels ils transformeront » concluait récemment Semil Shah dans un article consacré à l’économie Peer-to-Peer publié dans TechCrunch.

L’économie du partage se propage

Sans que nous nous en rendions forcément compte, nous nous mettrions donc à moins posséder, à privilégier l’usage et à partager davantage. Dans un contexte de crise économique  durable et de défiance vis-à-vis des grandes entreprises, ces expériences d’échange et de partage réussies interrogent nos comportements traditionnels de consommation. « Nous nous dirigeons vers une économie où l’accès aux biens s’impose sur leur possession » affirme Lisa gansky, auteur de The Mesh.

L’âge de l’accès décrit par Jérémy Rifkin serait-il effectivement en train de se concrétiser  ? Le changement culturel est-il suffisamment profond pour nous conduire à privilégier l’usage sur la possession ?

Une chose est certaine : les solutions alternatives réelles et fonctionnelles à la forme la plus traditionnelle de l’achat existent et se diffusent comme jamais auparavant, au point que l’argent, dans un contexte de turbulence des monnaies étatiques, soit lui aussi contesté.

Dès lors, les défenseurs des monnaies alternatives, locales, complémentaires se font entendre et apparaissent de plus en plus crédibles pour nous aider à envisager des formes d’encadrement des échanges régis par la générosité et/ou la réciprocité (voir le travail de mon ami Etienne Hayem alias Zoupic sur ce thème ou le projet « The Future of Money »).

C’est notre rôle de travailleur/consommateur qui s’en trouve du même coup transformé comme l’explique Rachel Botsman dans un article intitulé « The Everyday Entrepreneur » :

Les gens prennent conscience qu’ils disposent de ressources inexploitées (matérielles ou liées à leurs compétences) sources de valeur économique, sociale et durable – en moyenne par exemple, une voiture reste à l’arrêt 92% du temps – et qui représentent  des opportunités quotidiennes pour devenir micro-entrepreneurs ». Ces évolutions ne se sont qu’embryonnaires et le changement prendra du temps mais « la fulgurance des avancées technologiques, combinée à une évolution des mentalités représente une opportunité sans précédent pour transformer des secteurs, réinventer les services publics, dépasser les formes de consumérisme sources de gaspillage terrible et changer nos façons de vivre.

Cette transition nous pousse également à réfléchir à l’encadrement de ces échanges (si nous nous mettons effectivement à partager au sein de communautés nouvellement créées, comment générer et maintenir la confiance nécessaire entre inconnus ?), mais aussi à leur plus grande diffusion :  quel rôle doit jouer l’éducation par exemple ?

Voici quelques-uns des enjeux que soulèvent l’économie du partage (analysée et décryptée avec justesse par le magazine américain Shareable ) et le concept de consommation collaborative (développé par Rachel Botsman et Roo Rogers dans leur livre What’s Mine is Yours: The Rise of Collaborative Consumption).

La croissance des formes d’échanges directs entre particuliers que décrit la consommation collaborative a été notamment permise par l’avènement et la démocratisation des nouvelles technologies. Si les formes de troc et d’échange ne sont pas nouvelles, Internet et les systèmes Peer-to-Peer ont permis leur développement à une toute autre échelle, grâce à deux leviers :

  • Internet et les places de marchés Peer-to-Peer ont rendu possible le déploiement de masses critiques d’internautes intéressés par les mêmes types d’échanges en permettant et en optimisant la rencontre entre ceux qui possèdent et ceux qui recherchent (des biens, services, compétences, argent, ressources, …) comme jamais auparavant ;
  • Internet et les systèmes de réputation ont permis de créer et de maintenir la confiance nécessaire entre inconnus utilisateurs de ces systèmes d’échanges : qui aurait cru au succès d’Ebay il y a 15 ans et à la possibilité de se faire héberger chez un inconnu en toute confiance avant le lancement et le succès de Couchsurfing ? Derrière ces plateformes d’échanges se trouvent des systèmes de réputation (références, notation) des utilisateurs qui les incitent à « bien se comporter » et qui expliquent en grande partie leur succès fulgurant.

Différentes formes de partage

Jenna Wortham dans le New York Times , suggère de distinguer deux formes de consommation collaborative :

  • les formes où  l’on se regroupe pour acheter en commun -pour obtenir un meilleur prix ou savoir ce que et à qui on achète (comme la Ruche qui dit oui !) ou financer un projet sur le principe du crowdfunding (Kickstarter, en France UluleKisskissbankbank ou Wiseed) ;
  • les formes qui organisent  le prêt, le don, le troc ou l’échange de biens, de temps ou de compétences entre particuliers.

Rachel Botsman propose de distinguer trois systèmes de consommation collaborative, tels que présentés sur le schéma ci-dessous :

  • Les product service systems permettent de transformer un produit en service : l’autopartage, les vélos en libre-service ou encore la location (organisée par un intermédiaire ou entre particuliers) seraient à placer dans cette catégorie. Ces  plateformes s’inscrivent dans le cadre plus général de l’économie de fonctionnalité.
  • Les systèmes de redistribution organisent le passage de biens entre l’offre et la demande. C’est le principe du C to C et des plateformes comme PriceMinister, LeBonCoin mais aussi du troc, du don, de l’échange…
  • Les styles de vie collaboratifs regroupent les formules de partage de ressources immatérielles entre particuliers : espace, temps, argent, compétences. Couchsurfing,Colunching, Coworking, Cohousing, Prêts entre particuliers, Achats Groupés feraient ainsi partie de cette catégorie.

Une autre distinction selon les secteurs investis par cette économie du partage est également possible. Puisqu’on me questionne souvent sur l’origine et la pertinence de l’expression, je m’interroge avec vous : l’expression Consommation Collaborative est-elle appropriée, pertinente, suffisamment percutante pour désigner ces nouvelles formes de partage entre particuliers ? Ma réponse est oui car le terme collaboratif possède un historique, celui du travail collaboratif qui a eu un impact positif évident sur l’organisation du travail.

Tout comme le collaboratif appliqué à l’organisation du travail a permis de tirer un meilleur parti des ressources humaines, le collaboratif appliqué à la consommation engendre une optimisation des ressources naturelles et matérielles. Internet et les systèmes Peer-to-Peer investissent progressivement tous les espaces de notre vie quotidienne pour mieux les renouveler : il y a dans le collaboratif une idée d’optimisation mais aussi de rupture.

Après la révolution de l’entreprise collaborative et le développement de la consommation collaborative , apparaissent ou sont aujourd’hui envisagées d’autres formes que l’on pourrait qualifier de collaboratives : la distribution (comme le fantastique People’s supermarket en Angleterre), la production (un exemple d’Open Source appliqué à la production), la politique et même l’énergie collaboratives. Il ne s’agit-là que d’exemples et je vous renvoie aux travaux de la P2P foundation de Michel Bauwens pour plus d’informations sur le sujet.

La crise : premier catalyseur

La crise a été l’évident déclencheur et propagateur de l’économie du partage, selon Daniel Noble , fondateur de Drivemycar, qui met en relation propriétaires de voitures et personnes recherchant des locations de courte durée en Australie :

La crise a généré un changement de mentalité, elle a contraint les gens à s’interroger sur les nouveaux moyens à leur disposition leur permettant d’effectuer des économies et de gagner de l’argent à partir de leurs biens. (…) Lorsque j’ai entendu pour la première fois parler du concept [de la location de voitures entre particuliers], j’ai pensé que c’était une très mauvaise idée, je n’aurais jamais laissé quelqu’un conduire ma voiture (…) Mais la crise a été un catalyseur, j’ai commencé à réfléchir à comment diminuer certaines de mes dépenses et comme la voiture est un des principaux pôles de dépense…

Drivemycar rencontre un vrai succès en Australie : toutes sortes de voitures sont disponibles y compris les plus beaux modèles, Noble explique ainsi : «  J’ai maintenant des Ferrari et des Porsche disponibles à la location, les gens en parlent à leurs amis, ils n’ont pas honte » (nous ne sommes pas en reste : une très belle calèche est même proposée par un particulier sur le site de Deways ;) ).

Si la crise a été un évident accélérateur du mouvement par la contrainte budgétaire nouvelle qui en a résulté, elle ne saurait expliquer à elle seule le rejet croissant dont l’hyperconsommation fait actuellement l’objet. Aujourd’hui c’est même sur le terrain de la mode et du prêt-à-porter (souvent initiateurs des futures tendances) que s’expriment ces nouvelles pratiques : du mouvement des recessionistas aux sites de vides-dressing, en passant par les sites de locations de sacs ou de bijoux de mode comme Avèle, les sites de troc, d’échange et de location de vêtements se multiplient, quand ce ne sont pas les créateurs eux-mêmes qui s’en emparent en faisant appel à la créativité du consommateur.

Nous n’avons pas besoin d’acheter de nouvelles fringues à chaque nouvelle saison.

Interrogée par le Sydney Morning Herald, Lara Mc Pherson met en place des événements de troc de vêtements par l’intermédiaire de son blog (dans le même esprit, saluons Pretatroquer en France), elle explique : « j’ai pris la décision d’arrêter d’acheter de nouveaux habits jusqu’à ce que je trouve un moyen socialement responsable et bon pour l’environnement de vivre ma passion pour la mode. »


Du bien au lien

Au-delà des économies permises par ces sites, c’est l’impact social généré (en un mot la rencontre) qui est au cœur de leur succès.

De la crise naît la nécessité de s’assembler, et de cette nécessité naît le plaisir de s’assembler. On y trouve son compte pour ses intérêts individuels et matériels, puis très vite, quelque chose se passe et la communauté d’intérêts devient une communauté de liens. (lu sur le blog de La Ruche qui dit Oui !).

La capacité à récréer du lien social est pour beaucoup dans l’engouement de nombreuses plateformes de consommation collaborative. Un avis que partagent de nombreux historiens et sociologues. Interrogée par Le Monde, Laurence Fontaine, historienne et directrice de recherche au CNRS voit dans le mouvement un rejet de l’économie capitaliste :

La crise, ou plus exactement l’appauvrissement, pousse les gens vers ces nouvelles formes d’échanges. Mais on peut également analyser ce mouvement comme un refus de la société de marché, commente-t-elle. Au XVIIIème siècle, les aristocrates payaient en objets et habits. L’arrivée de l’argent a été une libération des liens sociaux. Les hommes ont ainsi accédé à l’anonymat et à l’individualisme. Mais maintenant que ces valeurs ne sont plus portées aux nues, on cherche de nouveau à tisser du lien social avec d’autres moyens.

Stéphane Hugon, sociologue et cofondateur du cabinet Eranos, partage ce constat et envisage les implications économiques de ces évolutions :

Cette nouvelle consommation sonne le glas d’une approche de la société et des marchés à partir de « l’individu rationnel qui optimise sans contrainte ». A-t-il d’ailleurs jamais été rationnel ? (…) La consommation est ici largement motivée par une recherche de relation sociale qui vient épaissir le prétexte rationnel d’un geste qui n’est économique que par extension. C’est probablement toute notre culture économique qui s’en trouve modifiée.

Erwan Lecoeur, sociologue, ancien Directeur de l’observatoire du débat Public développe l’idée que l’explication du succès de ces nouveaux comportements est à rechercher dans une quête de liens et de confiance en soi et en l’autre :

Avec ces nouveaux comportements, plusieurs attentes apparaissent, que l’on pourrait appréhender par la centralité du besoin du « lien », d’une qualité particulière et d’une confiance renouvelée.

Derrière les produits et les services concernés, c’est avant tout une nouvelle forme de relation, de partage qu’il s’agit de vivre. Plus qu’une simple proximité géographique, on peut y voir une recherche de relation affinitaire à nouer ; le besoin d’une rencontre réelle, d’un contact avec le producteur, l’inventeur, le fournisseur de biens ou de services. (…) On passe du bien à ce qu’il permet : un lien. (…) Le bonheur n’est pas contenu dans l’objet échangé, semblent dire des millions de nouveaux consommateurs mais dans l’acte d’échange et la rencontre qu’il permet.

Et d’envisager la propagation et la contagion du partage…

Ces formats d’échanges de produits et de services qui se développent  un peu à l’écart du monde de la grande consommation ne sont qu’embryonnaires ;  ils n’en ont pas moins beaucoup d’avenir. Parce qu’ils créent une convivialité, une confiance qui fait défaut à l’extérieur, ils attirent à eux de nombreux adeptes, intrigués par ces étranges manières, puis désireux de faire partie de cette petite société-là, au moins par bribes, par moments, par intérêt.

Et vous, vous trouvez que cette économie-là fait du sens? Couchsurfing, l’autopartage (entre particuliers), les AMAP, le coworking, le colunching, le troc de vêtements, le Booksurfing, le crowdfunding, … vous y croyez, ça vous parle, ça vous inspire ?

N’hésitez pas à me faire part de vos expériences et de vos commentaires !

Parce que je suis également convaincu de l’impact social et de la contagion possible, attendue et souhaitable de cette économie du partage, j’ai commencé à réunir des adeptes du partage pour échanger autour de la thématique, publier des articles encore plus pointus et plus fréquemment et réfléchir à l’organisation d’évènements. Ce projet vous intéresse ? Vous souhaitez juste en savoir plus ? N’hésitez pas à rejoindre notre toute nouvelle page Fan.

Pour aller plus loin :


Article initialement publié sur le blog Consommation Collaborative

Image de clef : Victoria Diaz Colodrero.

Photos flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Sterneck ; PaternitéPas de modification {Guerrilla Futures | Jason Tester}

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http://owni.fr/2011/05/17/nouvelle-economie-partage-consommation-collaborative-p2p/feed/ 45
Le dur parcours de l’assassin de créateurs http://owni.fr/2011/05/04/assassin-de-createurs/ http://owni.fr/2011/05/04/assassin-de-createurs/#comments Wed, 04 May 2011 12:00:02 +0000 Philippe Aigrain http://owni.fr/?p=60946

Lors d’un récent débat sur Public Sénat (à partir de 15′), où Félix Tréguer de La Quadrature du Net tentait de finir une phrase pour défendre le partage des œuvres culturelles numériques, Thierry Solère, chargé des questions Internet à l’UMP l’interrompit avec cette phrase :

Prendre une œuvre créée par quelqu’un qui vit de sa création, gratuitement alors qu’elle est payante, c’est tuer le créateur.

Tout énoncé qui vise à clore un débat par l’affirmation d’une évidence supposée mérite au contraire qu’on s’y arrête. Il va falloir ici considérer presque chaque mot.

« Prendre » d’abord : l’étymologie du mot renvoie à prehendere (faire préhension, chasser). Voilà l’internaute prédateur qui s’empare des œuvres, et dépouille le créateur. Félix Tréguer parlait de partage, ce qui signale que si quelqu’un est en mesure d’accéder gratuitement à une œuvre dans le partage, c’est que quelqu’un d’autre lui a donné ou l’a mise à sa disposition. C’est cet acte bien précis que des mots comme prendre ou téléchargement visent à cacher.

Considérons des situations analogues. Je viens d’échanger quelques livres avec l’une de mes filles. Chacun de nous deux vient de les « prendre » gratuitement. Nul doute n’est possible : c’était assez agréable de tuer ces créateurs que nous apprécions. Ah, bien sûr nous exagérons avec ce parallèle : d’abord nous ne « prenons » qu’à petite échelle, et en plus, celui qui donne se prive de ce qu’il donne. Ce dernier point est mineur, d’ailleurs la privation est très relative car nous ne partageons les livres qu’après les avoir lus, et il est bien rare que nous souffrions de ne pouvoir les relire à nouveau. Passons sur ces réminiscences sacrificielles et considérons le point plus important de l’échelle.

Les bibliothèques : du crime en bande organisée

Dans les pratiques récentes des cercles familiaux et amicaux, chaque exemplaire d’un livre a plusieurs lecteurs, et plus le livre est apprécié, plus ce nombre augmente. Heureusement, le livre électronique promet de nous rendre ces partages bien plus difficiles. Il va bientôt falloir se bouger un peu pour tuer les auteurs en lisant leurs livres gratuitement. On ne pourra cependant s’arrêter là : les bibliothèques, le book crossing ou le Circul’livres organisent le partage à une échelle supérieure. Voilà de la bande organisée en vue de tuer les créateurs.

Heureusement que diverses réformes ont aggravé sévèrement les peines et diminué les exigences de preuve pour la répression de tels méfaits. La fait de faire partie (comprendre : se promener au mauvais endroit) d’une bande organisée constituée en vue de commettre un crime dont l’un des membres possède une arme a été soumis à des peines de prison très accrues. Il va donc être possible d’envoyer pour longtemps en prison tout bibliothécaire, toute personne qui fréquente un possesseur d’ordinateur ou de chariot susceptible de recevoir des livres et quelques adjoints au maire chargés de la culture. Mais admettons tout de même que l’échelle et la vitesse de circulation des œuvres dans le partage sur Internet reste bien supérieure à celle observée dans ces exemples, et il faudra donc employer des moyens d’une toute autre ampleur pour empêcher ces assassinats. Robert Darnton, pourtant avocat du partage des connaissances, n’avait pas craint il y a peu d’envisager en conclusion d’un entretien dans Le Monde 2, la création de livres auto-destructifs qui se détruisent eux-mêmes dès qu’une personne les aura lus. Quand tout cela sera en place, l’assassinat de créateurs sera un vrai sport de compétition.

Tuer, oui, mais à bon escient

Passons à « une œuvre créée par quelqu’un qui vit de sa création ». L’assassin de créateurs, pour être sûr de ne pas perdre son temps, devra d’abord vérifier qu’il ne partage pas une œuvre qui aurait été créée par un créateur décédé ou par un créateur qui ne vit de sa création que secondairement ou marginalement. Il ne devra pas gaspiller de temps avec les œuvres de domaine public (s’il en reste) ou les œuvres collectives créées par des masses de créateurs, qui le plus souvent ont déjà été tués par les éditeurs, ou pire encore celles dont les créateurs souhaitent qu’elles soient partagées autant que se peut, et on ne va tout de même pas leur faire plaisir à ces masos en les tuant.

À vrai dire, là, M. Solère est très en dessous de ce que son parti est en droit d’attendre de lui. Car tout temps consacré à une œuvre qui n’émane pas d’un créateur qui vit de sa création tue les membres de cette congrégation tout aussi efficacement, voire plus que si on partageait leurs propres œuvres. La seule solution serait pour M. Solère de reconnaître que pour lui le mot créateur s’étend aux acceptions suivantes : héritiers, producteurs, éditeurs et distributeurs, ainsi que bibliothèques, musées et archives transformés en marchands publics de biens privés, et les investisseurs dans toutes ces activités. Ne resteraient exclus que les auteurs partageurs volontaires (ceux à qui ça fait trop plaisir qu’on les tue). Voilà qui constituerait une simplification juridique considérable : nous pourrions être sûrs que chaque acte de partage tue bien un créateur au moins, sauf dans le cas où il en tirerait du plaisir.

Considérons enfin « gratuitement alors qu’elle est payante ». C’est la que toute la philosophie du fondamentalisme marchand s’exprime. Celle-là même qui domine dans le débat parlementaire sur le projet de loi sur le prix unique du livre numérique, dans lequel l’éventualité du partage hors-marché volontaire des œuvres numériques et la possibilité que celui-ci pourrait être combiné avec leur vente n’a pas effleuré l’esprit des parlementaires. La précision de M. Solère est toute louable. Il va falloir créer deux catégories d’œuvres : les gratuites (cf. créateurs masochistes) et les payantes. Ainsi on sera sûr de n’assassiner les créateurs qu’à bon escient.

Billet initialement publié sur Communs / Commons ; photo Flickr CC AttributionNoncommercial Paul J. S.

Chapô, intertitres et photo ont été choisis par OWNI

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Réinjecter de la durée de vie dans la société du jetable http://owni.fr/2011/05/01/reinjecter-de-la-duree-de-vie-dans-la-societe-du-jetable/ http://owni.fr/2011/05/01/reinjecter-de-la-duree-de-vie-dans-la-societe-du-jetable/#comments Sun, 01 May 2011 11:00:36 +0000 Alexandre Marchand http://owni.fr/?p=60364

Sans connaître le terme [d’obsolescence programmée], je me suis rendu compte à 16 ans que la qualité des produits régressait, et ce, dans tous les secteurs.

Se souvient Yohann Gouffé, un chargé de communication sur le développement durable à la mairie de Saint-Mandrier (Var). “Obsolescence programmée”, une expression barbare pas forcément évocatrice mais pourtant inhérente à notre vie quotidienne. L’idée est simple : concevoir des produits plus fragiles permet d’accélérer leur renouvellement, faisant ainsi augmenter les ventes. Le procédé n’est pas neuf mais a cependant connu une accélération au cours des deux dernières décennies avec la complexification de l’électronique dans les produits de tous les jours. Un mouvement contre lequel Yohann, parmi d’autres citoyens inquiets, cherche à trouver des parades.

Un forum pour partager des solutions pour étendre la durée de vie des objets

Si la logique de l’obsolescence programmée pouvait avoir sa pertinence dans l’Amérique sinistrée des années 1930, où elle a été popularisée, elle est devenue beaucoup plus problématique en ce début de XXIème siècle. Dans un monde aux capacités limitées, elle accapare des ressources considérables. Et la surconsommation qui en découle génère des montagnes de déchets qui iront s’accumuler sur des terrains vagues au Ghana, au Sénégal, en Inde,…

Après la visionnage de l’excellent documentaire Prêt à Jeter sur Arte en février dernier, Yohann se précipite sur Internet pour chercher des informations supplémentaires. Constatant la rareté de données sur l’obsolescence programmée, il décide de créer le premier forum sur le sujet. Dans cet espace, les utilisateurs sont invités à recenser les appareils douteux et à échanger les astuces pour les faire remarcher. Lave-vaisselle, onduleur, machine à pain…les produits y sont passés au crible.

La société, en quête d’une constante croissance économique, nous conditionne partout et à longueur de journée à consommer toujours plus, et l’obsolescence programmée des produits, que nous achetons sans réfléchir à l’impact environnemental, y contribue.

Avec l’aide des internautes, il catalogue d’ailleurs les produits avares d’énergie et aisément réparables, du fer à repasser démontable à la machine à expresso manuelle.

Dans le processus d’obsolescence programmée, l’attitude du consommateur est cruciale.

Il faut arrêter de vivre et de consommer pour plaire ou se faire accepter d’autrui, analyse Yohann. Personnellement, je n’éprouve aucunement le besoin de suivre la mode ou de parader avec le dernier modèle sorti sur le marché.

L’obsolescence peut être technique certes mais également psychologique, c’est le constat que partage Marine Fabre, membre des Amis de la Terre et auteur d’un rapport sur le sujet. Pour ce dernier, elle est allée à la rencontre des distributeurs d’électroménager. Si leur première réaction a été de dénoncer “la théorie du complot”, ils ont fini par avancer que l’obsolescence “est surtout du fait des consommateurs qui poussent la consommation technologique et veulent toujours le produit dernier cri”. “La volonté d’avoir le dernier produit en date est en grosse partie suscitée par le marketing”, soutient cependant Marine.

Réemploi, durabilité et partage

Avec les Amis de la Terre, Marine a contribué à l’élaboration du site Produits Pour La Vie qui vise à informer les consommateurs et à leur proposer des alternatives. Avec une équipe de bénévoles, elle travaille actuellement à des “Guides du Réemploi” pour Paris et le Val-d’Oise. Le but : donner accès au citoyen à des bases de données lui indiquant où faire réparer quel type de produit, où faire du troc, où louer un objet pour un besoin ponctuel… “Ta perceuse tu en as besoin peut-être deux fois dans ta vie alors plutôt que d’en acheter une, pourquoi ne pas la louer ou la partager?”, explique-t-elle.

Réemployer plutôt que de jeter, un bon moyen de contourner le système mais généralement peu pratiqué. Selon une étude de l’ADEME, près d’un objet sur deux qui tombe en panne n’est pas réparé alors même que 83% des Français disent être sensibles à l’intérêt écologique de ce geste. « Il semble plus facile d’acheter que de faire réparer » avance Dieter Becker, coordinateur de la Recyclerie du Rouergue.

Située sur la route de la déchèterie de Villefranche (Aveyron), sa Recyclerie fait partie du réseau des Ressourceries, un ensemble de structures spécialisées dans le réemploi des déchets. “On reçoit pas mal de [l’électroménager] blanc, les gens veulent plus de technicité, plus de commodité. Certains appareils qu’on a sont jolis sauf qu’en termes de consommation…”, explique Dieter. Depuis 2006, sa Recyclerie collecte des produits usagés, les remet en état de marche et les valorise afin de les revendre derrière. “Avec trois machines, on peut en faire une”, assure le coordinateur. Le concept et les prix attractifs et semblent assurer un succès croissant à la Recyclerie : en 2010, 60 tonnes y ont été apportées, près de 30 en sont ressorties.

Il est aussi possible, plutôt que de faire l’acquisition d’un nouveau modèle, de se procurer un produit par des voies parallèles. “On ne jette rien, on redonne les choses, ainsi on n’a pas besoin de racheter systématiquement”, confie Mireille Legendre, la présidente d’un Système d’Échange Local (SEL) à Montreuil (Ile-de-France).

Développés dans les années 1980 en Amérique du Nord et arrivés en France en 1994, les SEL donnent une nouvelle vie aux produits dont on souhaite se séparer. Inscrits en marge de l’économie classique, ils permettent l’échange de produits ou de prestations entre les citoyens sans recourir à l’argent. Plus de quatre-vingt personnes, de Montreuil et ses environs, viennent apporter leur contribution au SEL créé par Mireille en 1999. Chacun y met ce qu’il peut : service, savoir ou bien. Ici la monnaie n’a pas cours, on calcule en ”unités”. Par exemple, une heure passée à aider pour le jardinage rapportera 60 unités, unités qui pourront être utilisées pour acquérir un objet mis à la disposition du SEL. Le “prix” d’un bien est laissé à la discrétion de son propriétaire d’origine. “Les biens qui sont mis ici sont variables : cela peut être de l’alimentation, du mobilier ou encore de l’électroménager”, explique la présidente. Près de 400 organisations similaires sont recensées sur le territoire français, et de nombreuses autres existent à l’étranger (Belgique, Canada, Suisse…).

Mettre en commun pour consommer moins

Aude Ménigoz-Kirchner a trouvé une autre alternative à la surconsommation : mettre en commun les biens. C’est la conclusion qu’a atteint, au fil des années, ce médecin scolaire de Besançon (Doubs) :

Chacun prend conscience à son rythme, la crise économique a peut-être aidé certains. Moi j’y suis arrivée progressivement, un peu par mon fils qui est dans la décroissance, un peu par des amis.

Depuis quelques années, au sein de l’association Habiter Autrement à Besançon, elle participe à l’établissement d’un habitat coopératif, un ensemble écologique et solidaire. Mais si l’habitat coopératif connaît un regain d’intérêt en France ces dernières années, en périphérie ou à l’extérieur des villes, la mutualisation des biens n’y est pas forcément mise en oeuvre et reste avant tout un choix au cas-par-cas. Avec 15 autres foyers, pour l’heure, Aude a choisi le terrain de construction et envisage l’emménagement dans les trois ans. “Pour nous, ce qui est important c’est la mutualisation des surfaces et des biens. Le but est le bien vivre-ensemble”, explique-t-elle.

Des pièces communes seraient ainsi prévues : buanderie, grande salle avec cuisine, chambres d’amis… “Ce qui sera mis en commun dépend un peu de chacun : ça peut aussi bien être des ateliers de bricolage que des livres ou encore des automobiles”, dit Aude. Elle compte bien mettre sa voiture, pourtant nécessaire à ses tournées, à la disposition de la communauté dès que possible afin de limiter le nombre de véhicules par foyer.

“L’obsolescence programmée est inhérente au système, c’est le bras armé de la croissance”, lâche Stéphane Madelaine avec un sourire. En tant que professeur de sciences industrielles pour l’ingénieur au Havre (Seine Maritime), il certifie l’existence de l’obsolescence programmée et regrette le manque de discussion autour : “Dans le cahier des charges de tout produit il faut mettre une durée de vie, il y a donc bien une décision qui est prise”. Pour ce membre du Parti pour la Décroissance, « la croissance pour la croissance” est un concept “complètement absurde ». Stéphane milite pour un tournant abrupt :

Il faut que le consommateur se réapproprie son mode de vie. Nous ne sommes pas des moutons qui subissons tout, il y a plein de moyens de s’exprimer ou de changer le monde.

“La crise amène à repenser certains modes de consommation. Elle a poussé beaucoup de gens à s’interroger pour savoir s’il n’y avait pas une autre voie”, explique Christophe Ondet, le secrétaire national du Parti pour la Décroissance. Selon lui, il est vital de sortir du paradigme de la croissance et du travail, réhabiliter l’humain derrière l’économie. “A quoi ça sert d’avoir un emploi derrière un guichet si c’est pour y être malheureux ?”, interroge-t-il. Mais le changement, dit-il, doit d’abord se manifester dans des comportements individuels, des regroupements de citoyens, une volonté provenant de la base. Et de marteler :

Ça partira du citoyen ou ça ne partira pas.

Même s’il confesse ne pas avoir de “programme clé en main” à proposer, il voit une solution simple à la surconsommation : la sobriété. À chaque citoyen de décider de la marche à suivre, de faire ses propres choix en matière de consommation. “Personnellement, confie Christophe, je ne consomme pas plus que ce dont j’ai besoin. Je ne rêve pas de passer le samedi dans les centres commerciaux.”

Photos: Flickr CC Toban Black / Chantel Williams / Andy Herd / Peter Blanchard.

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