OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le jour où Instagram découvrit le web http://owni.fr/2012/11/16/le-jour-ou-instagram-decouvrit-le-web/ http://owni.fr/2012/11/16/le-jour-ou-instagram-decouvrit-le-web/#comments Fri, 16 Nov 2012 10:11:47 +0000 Geoffrey Dorne http://owni.fr/?p=126068

À l’heure où Instagram publie des photos aériennes prises par un drone, à l’heure où l’on visionne ses photos sur un pico projecteur, à l’heure où je vous publie chaque jour un dessin sur cette même plateforme, Instagram ouvre enfin son service au web sous forme de page galerie personnelle. Petite révolution pour libérer les photos du téléphone de millions d’utilisateurs, premier pas vers l’absorption d’Instagram par Facebook ou évolution de l’expérience utilisateur ? Aujourd’hui, on fait un petit tour par ce grand saut sur le web.

Instagram, du mobile au web

Il ne vous est plus nécessaire d’avoir un smartphone ou de passer par des services tiers (webstagram, statigram, etc.) pour accéder aux galeries de vos photographes amateurs préférés. Instagram est un enfant du smartphone, né de la mobilité, de la photo et des réseaux sociaux, il aura quand même mis du temps à faire le pont entre mobile et web.

Mais pourquoi Instagram lance ses profils web maintenant ?

Kevin Systrom, le CEO d’Instagram affirme qu’il attendait le bon moment avant de sortir les galeries web de ses 100 millions d’utilisateurs. En réalité, l’idée est de se positionner également pour les entreprises qui utilisent Instagram dans le cadre de leur promotion dans les médias sociaux. La version web du compte Instagram de Nike est sorti avec les premiers exemples. Ce changement est tout simplement une façon facile de rendre ces contenus disponibles pour tous les utilisateurs, en particulier ceux qui n’ont pas de smartphone sur iOS ou Android.

Sur le web, en plus de l’affichage de photos d’un utilisateur et de ses informations, vous pouvez aussi faire des choses telles que suivre cet utilisateur, commenter.

L’Interface

La chose la plus frappante sur les profils web est sa ressemblance avec la timeline de Facebook ! Graphiquement c’est à s’y méprendre tant l’inspiration est grande. Mais étrangement, nous ne sommes pas exactement dans les mêmes dimensions, et quelques subtilités ont été mises en place.

Une élégante animation lors du survol de la souris laisse place à la date, au nombre de commentaires et de likes, la mosaïque tout en haut offre un changement régulier des photos dans des petites cases qui forment une grille. Cette mosaïque justement occupe toujours la même disposition et n’est pas sans rappeler la photo de couverture des profils sur Facebook.

Typographie & interactivité

Côté typographie, Instagram utilise du Proxima Nova, une police d’écriture totalement revue en 1994. Entre du Futura et de l’Akzidenz Grotesk, le Proxima s’avère être assez élégant et très actuel, très inscrit dans la tendance.

Pour l’interaction c’est très simple, rien de révolutionnaire, il suffit de cliquer sur une photo et elle apparaîtra en taille réelle aux côtés des likes et des commentaires. On se rendra hélas compte à ce moment que la résolution des photos et parfois médiocre. En effet, pas de souci pour l’affichage sur mobile mais lors d’un affichage sur écran d’ordinateur cela s’avère plus délicat.

Une semaine après, de réels changements ?

Une semaine après son ouverture sur le web, de nombreux “Instagrameurs” redécouvrent leurs photos, on échange des albums sur Twitter, la vision d’ensemble se dessine et l’oeil de chacun peut mieux constater le talent de tel ou tel photographe. Pour ma part j’ai redécouvert ma galerie Instagram et j’ai découvert de nombreux artistes qui détournent Instagram comme le peintre japonais Ostatosh, les ambiances suédoises de Cimek, le dessinateur Dika ou encore l’univers typographique de Frank.

L’avenir ?

Peut-être qu’à l’instar de son cousin Pinterest, Instagram proposera des versions “privées” en ligne ? À l’heure actuelle, les profils privés sur l’application mobile apparaissent comme “vides” sur la version web. Le lien entre mobilité et interface ordinateur soulève souvent des questions de ce genre, la réponse est dans le camp des designers et des développeurs — sans oublier évidemment l’éthique qu’un tel service se doit d’avoir.

De même, il est tout à fait possible d’imaginer à l’avenir une version “blog” d’Instagram en pouvant, pourquoi pas, créer des “boards” comme sur Pinterest ou des articles comme sur Tumblr. La base du service reposant sur le partage de photos (avec ses filtres), le like et le commentaire — mais Facebook occupant la place du plus gros réseau social au monde — ça va être à Instagram (et donc désormais à Facebook), de tirer son épingle du jeu pour rester innovant et fédérer les amoureux de l’image que nous sommes.

En attendant, sur Instagram web ou Instagram mobile, on trouve de tout, des gansters aux enfants fortunés en passant par l’ouragan Sandy. La vie donc…

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Mordre les photographes http://owni.fr/2012/09/19/mordre-les-photographes-upp/ http://owni.fr/2012/09/19/mordre-les-photographes-upp/#comments Wed, 19 Sep 2012 10:41:48 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=120403

Fortement bouleversé depuis plusieurs années par les évolutions du numérique, le secteur de la photographie professionnelle s’organise et réagit pour proposer des solutions au gouvernement. Ainsi, L’Union des Photographes Professionnels (UPP) propose un Manifeste des photographes en huit points, indiquant des pistes par lesquelles le législateur pourrait agir pour améliorer leur condition.

Après une première lecture, ma première envie a été de les mordre… littéralement ! Tellement ce manifeste constitue en réalité une déclaration de guerre contre la culture numérique.

Par exemple, les photographes professionnels sont engagés dans une véritable croisade contre la gratuité et les pratiques amateurs, qui sont effectivement massives dans le domaine de la photographie. Ils confondent dans une même invective les microstocks photo (banque d’images à bas prix, comme Fotolia) et des sites de partage d’images, comme Flickr ou Wikimedia Commons, où les internautes peuvent rendre leurs photographies réutilisables gratuitement par le biais de licences Creative Commons (plus de 200 millions sur Flickr et plus de 10 millions de fichiers sur Commons).

Leur hantise est que ces photographies gratuites puissent être réutilisées par des professionnels de l’édition (dans le cas où la licence utilisée ne comporte pas de clause NC – pour NonCommercial). Lesquels auraient dû être obligés – dans leur esprit – de se tourner vers eux pour se procurer des images contre espèces sonnantes et trébuchantes. D’où l’impression que l’explosion des pratiques amateurs constitue une insupportable concurrence, qui serait la cause des difficultés touchant leur secteur d’activité.

Et leur projet, pour lutter contre ce phénomène, consiste tout simplement à interdire la gratuité, ou plus exactement comme nous allons le voir ci-dessous, à rendre la gratuité… payante !

Cet élément constituerait déjà à lui seul une raison suffisante pour avoir envie de les mordre. Mais en poursuivant la lecture de leurs propositions, on se rend compte que l’UPP soutient aussi… la licence globale !

Concernant l’utilisation d’oeuvres par des particuliers sur le web, nous constatons que le dispositif répressif instauré par la loi “Création et Internet” est inopérant et illusoire dans le secteur des arts visuels. À ce jour, les photographes, ne perçoivent aucune rémunération en contrepartie de ces utilisations.

L’UPP s’est prononcée dès 2007 en faveur de la mise en place d’une licence globale pour les arts visuels, dispositif équilibré, qui vise à concilier l’intérêt du public et la juste rétribution des auteurs.

Cette prise de position mérite considération, car les photographes professionnels doivent être aujourd’hui l’un des derniers corps de professionnels de la culture à soutenir la licence globale (dans le domaine de la musique, les interprètes de l’ADAMI et de la SPEDIDAM la soutenaient – ce sont même eux qui ont inventé cette proposition – mais ils ont aujourd’hui modifié leurs positions).

Alors que la Mission Lescure sur l’acte II de l’exception culturelle va commencer ses travaux (et devra se pencher aussi sur le cas de la photographie), j’ai décidé, plutôt que de faire un billet assassin au sujet de ces propositions, d’essayer de comprendre le point de vue de l’UPP.

Un regard objectif

Fortement impacté par les possibilités de dissémination induites par le numérique (quoi de plus simple et de plus incontrôlable que de faire circuler une photographie sur Internet ?), les photographes ont réalisé qu’un dispositif comme celui d’Hadopi est inefficace et ne peut leur être d’aucun secours. Aussi sont-ils prêts à accepter de laisser circuler les contenus, en échange d’une compensation. Ils tirent les conséquences d’un des aspects de la révolution numérique et leur point de vue, en ce sens, est louable.

Facebook droit sur Instagram

Facebook droit sur Instagram

En achetant au prix fort Instagram, le géant Facebook peut surtout prendre le contrôle des droits d'auteurs sur des ...

Mais je voudrais leur expliquer ici en quoi leur opposition aux pratiques amateurs est insupportable, en cela qu’elle nie le propre de ce qu’est la culture numérique (la capacité donnée au grand nombre de créer). Il y a même là une incompréhension totale de la valeur à l’heure du numérique. Comment expliquer en effet que les photographes professionnels soient en crise grave, mais que dans le même temps Instagram soit racheté par Facebook pour la somme mirobolante de un milliard de dollars ? C’est bien que la photo amateur a une valeur, très importante, et l’un des enjeux de la réflexion conduite dans le cadre de la mission Lescure devrait être d’empêcher que cette valeur soit captée uniquement par des plateformes ou des géants du web, comme Facebook.

On associe plutôt le modèle de la licence globale à la musique ou au cinéma (les internautes paient une somme forfaitaire mensuelle pour pouvoir partager en P2P des fichiers). Mais l’idée avancée par l’UPP d’appliquer un financement en amont à la photographie n’est pas absurde. La seule différence (et elle est énorme!), c’est qu’il faut le faire sur le mode de la contribution créative, et non de la licence globale. Les deux systèmes diffèrent dans la mesure où la licence globale rétribue uniquement les créateurs professionnels, alors que la contribution créative s’étend aussi aux productions des amateurs.

Mauvais réflexe

Il y a beaucoup de choses irritantes avec les photographes professionnels, notamment une forme de double discours. Ils poussent les hauts cris lorsque le droit d’auteur des photographes est violé, mais enfreindre celui des autres ne semble pas tellement les déranger.

Sur le site de l’UPP, on trouve par exemple un billet récent dans lequel est signalé la parution d’un article consacré au droit d’auteur dans la photographie sur Nikon Pro Magazine. Mais plutôt que d’en faire un résumé, l’UPP y va franco ! Ils scannent l’article et mettent le fichier en téléchargement, ce que ne permet aucune exception en droit français (la revue de presse n’est ouverte qu’aux professionnels de la presse). Que n’auraient-ils dit si c’était une photographie qui avait fait l’objet d’un traitement aussi cavalier !

Mais passons sur l’anecdote. Le plus contestable reste la manière dont l’UPP veut mettre fin à la gratuité du partage des photographies en ligne. Cette organisation s’est déjà signalée par exemple en saisissant le Ministère de la Culture pour essayer de faire interdire le concours Wiki Loves Monuments, au motif que des professionnels pourraient reprendre gratuitement les photos placées sous licence libre sur Commons.

Dans leur programme, le moyen qu’ils envisagent pour empêcher cette forme de « concurrence » est vraiment cocasse :

Nous sommes favorables à une modification du Code de la propriété intellectuelle, prévoyant que l’usage professionnel d’oeuvres photographiques, est présumé avoir un caractère onéreux.

Cette phrase est fantastique, quand on réfléchit à ce qu’elle signifie. En gros, un professionnel – imaginons un commerce cherchant une image pour illustrer son site Internet – ne pourrait utiliser gratuitement une photo sous licence libre trouvée sur Wikimedia Commons ou sur Flickr. Il lui faudrait payer, alors même que l’auteur du cliché a sciemment décidé qu’il voulait autoriser les usages commerciaux sans être rétribué. Selon l’UPP, il faudrait donc bien payer… pour la gratuité !

Mais à qui faudrait-il que le professionnel verse cette rétribution ? C’est là que les choses deviennent fascinantes. Plus loin, l’UPP dit qu’elle est en faveur de la mise en place d’un système de licence collective étendue pour les exploitations numériques, ce qui signifie qu’ils veulent qu’une société de gestion collective (une sorte de SACEM de la photo) obtienne compétence générale pour délivrer les autorisations d’exploitation commerciale des photos et percevoir une rémunération. Dans un tel système, tous les auteurs de photographies sont réputés adhérer à la société. Ils ne peuvent en sortir qu’en se manifestant explicitement auprès d’elle (dispositif dit d’opt-out).

Pour reprendre l’exemple de la photo sous licence libre sur Wikimedia Commons, cela signifie donc que son auteur devrait envoyer un courrier à la société pour dire qu’il refuse d’être payé. Sinon, le commerce dont nous avons parlé plus haut devrait payer la société de gestion, qui reversera le montant à l’auteur (non sans avoir croqué au passage de juteux frais de gestion). Et voilà comment l’UPP imagine que la gratuité deviendra impossible (ou très compliquée) : en “forçant” les amateurs a accepter des chèques de société de gestion collective !

Ubuesque !

Mais en fait pas tant que cela…

Un peu de profondeur de champ

En réalité, ce sont les présupposés idéologiques des photographes professionnels – le rejet de la culture amateur, la guerre forcenée au partage et la croisade contre la gratuité – qui rendent leurs propositions aussi aberrantes.

Au front de la révolution du droit d’auteur !

Au front de la révolution du droit d’auteur !

Poser les fondements d'une réforme du droit d'auteur et du financement de la création : tel est l'objet d'un nouveau ...

Mais si au contraire, on considère comme un fait positif pour la culture que la photographie soit devenue une pratique largement répandue dans la population (démocratisation) et si l’on admet que la mise en partage volontaire des contenus par leurs auteurs est bénéfique d’un point de vue social, alors on peut penser d’une manière constructive le fait de récompenser tous les créateurs qui participent à l’enrichissement de la Culture sur Internet, qu’ils soient professionnels ou amateurs.

Et c’est précisément ce que veut faire la contribution créative, telle qu’elle est proposée par Philippe Aigrain notamment, dans les “Éléments pour une réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées“.

Dans ce système, la première étape consiste à mettre fin à la guerre au partage, en légalisant le partage non-marchand des œuvres entre individus. La seconde vise à mettre en place une contribution (un prélèvement obligatoire de quelques euros versés par les individus pour leur connexion Internet), destinée à récompenser (et non à compenser) les créateurs de contenus. Le montant global de cette rémunération (qui peut atteindre un milliard selon les estimations de Philippe Aigrain) serait à partager entre les différentes filières culturelles, et l’on peut tout fait y faire entrer la photographie. Cette rémunération ne concernait pas seulement le téléchargement, mais aussi l’usage des œuvres, que l’on pourrait mesurer en fonction du nombre de visites des sites, des rétroliens ou des partages sur les réseaux sociaux.

Dans ce dispositif, le photographe professionnel, qui met en ligne ses clichés, ne peut plus s’opposer à ce qu’ils circulent sur Internet. Mais de toute façon, il est extrêmement difficile d’empêcher que les photos se disséminent en ligne et les photographes agissent rarement contre les reprises faites par de simples particuliers, sans but commercial. En revanche, les photographes seraient tout à fait fondés à toucher une récompense monétaire, à hauteur de l’usage de leurs œuvres en ligne.

Ce système ne les empêcherait pas par ailleurs de continuer à toucher aussi des rémunérations pour les usages commerciaux, opérés par les professionnels (sites de presse ou usage promotionnel par des commerces ou des marques, usage par des administrations, etc). De ce point de vue d’ailleurs, le programme de l’UPP contient des mesures intéressantes et même nécessaires (lutte contre l’usage abusif du D.R., rééquilibrage des pratiques contractuelles, voire même cette gestion collective obligatoire).

Mais la contribution créative s’appliquerait aussi aux amateurs. C’est-à-dire que l’internaute qui partage ses photographies sur Flickr, sur Wikimedia Commons ou sur son site personnel, est elle aussi fondée à être récompensée, car elle contribue à enrichir la culture par sa production. En fonction du taux de partage/usage de ses clichés, l’amateur pourra donc toucher une rétribution, par redistribution d’une part de la contribution créative.

Une autre photo de la guerre du web

Une autre photo de la guerre du web

Passée la dimension policière de l'évènement, l'affaire MegaUpload a ravivé les débats sur la gestion des droits ...

On en arrive donc, paradoxalement, à un système pas si éloigné de la “machine de guerre” contre la gratuité imaginée par l’UPP : des amateurs, qui n’auraient pas forcément créé des œuvres dans un cadre professionnel, pourraient toucher une rétribution. Sauf que dans le dispositif conçu par Aigrain, les personnes désireuses de toucher les récompenses devraient se manifester, en s’enregistrant (système d’opt-in et non d’opt-out). Par ailleurs, les récompenses ne seraient versées que si elles atteignent un montant minimum chaque année (pour ne pas qu’elles coûtent plus cher à verser que ce qu’elles rapportent effectivement aux créateurs).

Au lieu de fonctionner sur une distinction amateur/professionnel, la contribution créative fonctionne sur une distinction entre les créateurs qui veulent toucher une récompense et ceux qui ne le souhaiteront pas (certainement très nombreux dans le domaine de la photographie).

La contribution créative, (photo)réaliste ?

La mise en place de la contribution créative dans le domaine de la photographie soulève néanmoins des difficultés particulières, et sans doute davantage que dans le secteur de la musique et du film.

Le problème réside dans la difficulté d’attribuer les photographies à leurs auteurs, alors qu’il est si simple de faire circuler, de modifier ou d’enlever le filigrane ou les métadonnées des fichiers des photographies. C’est en fait à la fois une question technique et une question de respect du droit moral des photographes. Sur ce terrain, les combats de l’UPP sont absolument fondés et ils rejoignent également les valeurs des tenants de la Culture Libre (souvenez-vous les protestations de Wikipédia contre les récupérations de Houellebecq).

Comment faire en sorte que le lien entre l’auteur et ses photographies ne se rompent pas au fil de la dissémination ? Je pense en fait que la solution est moins d’ordre technique, ni même juridique, que dans la manière dont les photographes géreront leur identité numérique et leur présence en ligne. A mon sens, une manière de contrôler la dissémination consiste pour les photographes à organiser eux-mêmes le partage de leurs contenus sur la Toile.

Un exemple permettra de comprendre de quoi il retourne. Le photographe professionnel américain Trey Ratcliffe, spécialisé dans la photo de, voyage et la HDR, a déjà adopté une stratégie globale de dissémination de ses contenus sur Internet. Il tient un blog photo très populaire – Stock In Customs - ; il diffuse ses photographies sur Flickr par le biais d’albums ; il est présent sur Tumblr où ses images sont très largement partagées et il va même jusqu’à organiser des « Expositions » sur Pinterest en retaillant ces photos spécialement pour qu’elles s’adaptent à cette interface.

Le résultat de cette stratégie “d’ubiquité numérique” est que le taux de fréquentation de ses sites et de partage de ses contenus est très fort, comme il le dit lui-même :

La licence Creative Commons augmente le trafic sur mon site où nous pouvons où nous pouvons ensuite octroyer des licences pour des photos à but commercial. Mes photos ont été consultées plus de 100 millions de fois sur mon site principal. En outre, j’ai plus de deux millions d’abonnés sur Google+.

Il augmente par ce biais sa notoriété et se construit une identité numérique très forte. Par ailleurs, l’ensemble des “lieux” où Trey Ratcliffe partage ses photos lui assurent une attribution claire de ses images, puisque que c’est lui-même qui les poste : son blog, Flickr, Tumblr, Pinterest, Google+, Twitter, etc. Bien sûr, il y a nécessairement des “fuites”, avec des reprises sauvages de ses clichés sans respect de son droit à la paternité. Mais elles sont soutenables, vu le trafic que la diffusion contrôlée des images assure par ailleurs à l’artiste.

Actuellement, Tray Radcliffe utilise une licence CC-BY-NC-SA, ce qui signifie qu’il autorise les usages non commerciaux et fait payer les usages commerciaux. C’est son business model et il a l’air de fonctionner remarquablement. Mais dans un système de contribution créative, il ne fait pas de doute qu’un photographe comme lui tirerait encore mieux son épingle du jeu, car il toucherait également une récompense pour les partages non-marchands de ses œuvres.

Dans l’article signalé plus haut de Nikon Pro Magazine, voici le point de vue, sans doute représentatif des photographes professionnels sur cette démarche :

Cette stratégie fonctionne, mais beaucoup estiment qu’elles déprécient la photographie et diminue les possibilités de gagner de l’argent pour ceux qui ont besoin de revenus afin de maintenir un standard élevé et de financer des projets.

Conception absurde de la valeur ! L’usage donne de la valeur aux œuvres, il ne les déprécie pas. Et aux Etats-Unis, certains photographes qui ont besoin de financements lourds pour monter des projets savent utiliser la plateforme de crowdfunding KickStarter.

Le point clé pour les photographes à l’ère du numérique, ce n’est pas de lutter contre le partage, mais de comprendre les rouages de l’économie du partage qui est en train de se mettre en place et de développer une agilité numérique suffisante pour tirer profit des forces de la dissémination.

Retirer l’obturateur

Cet exemple des photographes professionnels est important, notamment dans le cadre de la Mission Lescure qui s’annonce. Il montre en effet que la ligne de fracture entre les titulaires de droits et les tenants de la Culture Libre se situe essentiellement au niveau de la reconnaissance de la légitimité des pratiques amateurs et de leur nécessaire prise en compte dans les mécanismes de financement de la création.

Si ce point de désaccord était levé entre ces deux partis, il serait possible de se retrouver sur d’autres sujets (respect du droit moral et de la paternité, mise en place de contrats plus favorables aux auteurs, amélioration des systèmes de gestion pour rémunérer les usages commerciaux, etc) et d’arriver peut-être à un consensus.

La contribution créative reste néanmoins le seul système capable d’appréhender de manière globale la question de la valeur des contenus en ligne et d’organiser un financement complet, parce qu’elle prend en compte les productions amateurs.

Elle parvient à le faire en élargissant les usages, et non en provoquant des dommages collatéraux très importants sur les pratiques. J’ai déjà eu l’occasion ailleurs de démontrer que la contribution créative pouvait apporter des solutions de financement pertinentes pour la presse en ligne, bien plus que l’absurde Lex Google proposée par les éditeurs de presse, qui veut taxer les liens et les clics !

Cela pourrait être aussi le cas pour la photographie.


Photographies sous licence [CC-BY] deKevin Dooley, professeur et photographe amateur.

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Vendredi c’est Graphism ! http://owni.fr/2012/05/11/vendredi-cest-graphism-4/ http://owni.fr/2012/05/11/vendredi-cest-graphism-4/#comments Fri, 11 May 2012 08:11:23 +0000 Geoffrey Dorne http://owni.fr/?p=109701

Hey ! :)

Bonjour et bienvenue à bord de la soucoupe pour ce 91e numéro de Vendredi c’est Graphism ! Les projets avancent, les idées aussi… Au programme de la semaine, je vous propose des cartes des planètes, des robot vengeurs, de la typo, du temps réel avec Google map, du pixel art photographique et un bon gros WTF pour les développeurs et autres amoureux du code informatique.

Bref, c’est vendredi et c’est.. Graphism !

Geoffrey

On démarre notre revue de la semaine avec ces images qui peuvent ressembler à de l’art abstrait et coloré… Mais ces images sont en réalité les cartes des planètes, des lunes et des astéroïdes de notre système solaire créé à partir d’informations recueillies par des satellites et des télescopes. La variété de couleurs renvoie aux différentes structures et topographies enregistrées, telles que bassins, cratères, montagnes et autres plaines….

C’est une façon de représenter la réalité avec un angle graphique, artistique et visuel qui me plait énormément.

gaya Des cartes artistiques de notre beau système solaire!

source

Cette semaine, vous aurez peut-être vu cette vidéo, drôle décalée mais vraiment bien réalisée :) Daniel H. Wilson est l’auteur de Robopocalypse, un ouvrage dans lequel il nous donne quelques menus conseils afin de résister et de survivre aux invasions de robots ! Entre leur développement et leur auto-réplication intelligente des nano-robots… Allez, n’ayez pas peur, il faut juste que vous soyez prêts ! ;-)

Cliquer ici pour voir la vidéo.

merci Tania

Dans la foulée, je tenais à vous présenter Tetra, une toute nouvelle tout belle typographie sans serif gratuite et dessinée par Alexey Frolov. Tetra nous apporte une certaine touche “old style” et ce sentiment est adouci dans les courbes contemporaines rendant cette police d’écriture applicable pour des mises en page rétros et modernes.

télécharger la typo

Vous savez, je croise encore parfois des personnes qui imaginent que Google Map est en temps réel ! Drôle d’idée quand on sait que les photos satellites datent parfois de plus d’un an. Cependant, l’idée est plaisante, fait rêver ou inquiète parfois ! Comme partout dans nos vies, dès que le paysage numérique prend vie, cela laisse place à la fascination et mettre cet espace dans les mains de tous est le plus beau cadeau que l’on puisse faire aux curieux

Ce film de Roel Wouters offre une approche créative en réinventant Google Maps en temps réel ! Cette carte virtuelle de notre monde joue avec l’idée de l’espace public comme une danse chorégraphiée… jolie et qui me laisse rêveur !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

source

Dans ce monde réel, l’artiste et photographe Jamie Sneddon et son acolyte Kevin Rozario-Johnson, nous offrent une vision nouvelle du pixel dans l’espace. Ces clichés, réalisés dans la ville de Cologne mélange Sonic, Link, ou des objets issus du monde de Mario Bros de manière délicate et bien sentie. Le tout donne un regard tourné vers le rêve et l’on imagine un instant croiser notre hérisson bleu à travers la ville. Un beau projet…

On termine sur un WTF spécialement conçu pour les développeurs et les gens qui programment. Lorsque l’on code, il est possible de se retrouver dans des situations vraiment délicates, complexes où des enjeux minimes prennent une grande importance. C’est donc avec beaucoup de dérision  que le blog “lesjoiesducode.tumblr.com” a été conçu… je vous laisse avec ces exemples :)

Quand je poste une question sur stack overflow :

Quand j’ai perdu une heure a cause d’une parenthèse oubliee dans une requête sql :

Quand je dois modifier du code auquel je n’ai plus touche depuis 3 mois :

Quand je pense avoir trouve une solution :

Quand j’ai decouvert les regex :

Par ici pour lire plus de joies du code ;-) Ou alors, pendant ce temps, il est toujours possible de se battre contre des oies avec un sabre laser… ;-)

Et voilà, pour le mot de la fin, je laisse la parole aux designers Joolz et à Elroy !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

À la semaine prochaine! :-)

Geoffrey

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Copé et Takieddine en short http://owni.fr/2011/09/27/cope-et-takieddine-en-short/ http://owni.fr/2011/09/27/cope-et-takieddine-en-short/#comments Tue, 27 Sep 2011 14:39:25 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=81135 Le 10 juillet, Mediapart publiait le premier volet de l’enquête sur Ziad Takieddine, illustrant les liens entre l’intermédiaire et plusieurs personnalités politiques françaises. Brice Hortefeux, Jean-François Copé ou encore Thierry Gaubert apparaissent sur des photos chez Takieddine ou en sa compagnie. “Des relations strictement personnelles” avait rétorqué J-F. Copé, secrétaire général de l’UMP. Olivier Beveulet s’est arrêté sur l’une de ces photographies, montrant Jean-François Copé barbotant dans la piscine de la villa du Cap d’Antibes appartenant à Ziad Takieddine. Le “marchand d’arme” a été mis en examen le 14 septembre pour “complicité et recel d’abus de biens sociaux”.

Cette photographie est à la fois exceptionnelle et très banale à l’ère de la transparence sarkozyenne; un homme politique de premier plan, presque nu, dans une piscine en plein été, il pose pour un ou une amie et fixe l’objectif. Face à face lointain entre l’homme et l’appareil ; le cadrage assez large le situe dans un lieu et un milieu. La mention de la date inscrite en rouge sur la surface de l’image nous indique son ancrage dans l’histoire personnelle des protagonistes, la relie aussi à notre histoire (où étions-nous ce jour-là ?) et nous révèle qu’elle a été prise à l’aide d’un petit appareil pour touriste. Le moment et le lieu sont ainsi très inscrits dans cette capture de l’instant présent…

Carpe diem dans la piscine de Takieddine. C’est d’abord un souvenir. Souvenir de quoi ? Pour qui ? Nous verrons… La photographie ne dit rien d’autre que “Jean-François est dans la piscine et me regarde”. Rien de plus courant – si ce n’est que la maison a l’air très luxueuse – rien de que la banalité de la vie heureuse et confortable de ceux qu’on appelle les nantis.

Jean-François Copé dans la piscine de Ziad Takieddine au cap d'Antibes le 13 août 2003, photographie faisant partie des "documents Takieddine" publiés par Mediapart

Et pourtant cette image est une des photographies politiques les plus troublantes et peut-être les plus importantes de ces dernières années. Sa portée symbolique est en train de se définir au fil des articles publiés sur les liens entre Ziad Takieddine et ce qu’on appelle maintenant le clan Sarkozy ; Gaubert, Hortefeux, Desseigne et étrangement Copé… Quant à son rôle politique, en tant qu’élément de ce que le site Mediapart dévoile depuis cet été sous le titre de “Documents Takieddine” (accès payant), il est de plus en plus important, lui aussi, car cette image est un document qui fait partie d’un dossier visant à manifester et à documenter les relations pour le moins “inappropriées” qui existent entre des hauts dirigeants de l’UMP (des proches de Nicolas Sarkozy) et cet homme d’affaire libanais qui a probablement joué un rôle central dans l’affaire des rétrocommissions et financement occulte du contrat Agosta qui a débouché sur l’affaire dite “de Karachi” …

Allégorie

Par ailleurs, son importance symbolique réside aussi dans le fait qu’ elle est l’enjeu d’un certain nombre d’appropriations sur le Web, au point qu’elle risque de rester assez longtemps en travers de la voie royale que son modèle s’était lui-même tracée jusqu’à l’Elysée. Un document et une allégorie, cette image est pour tous ceux qui la détiennent, un véritable trophée, et pour ceux qui la regardent une source d’étonnement et d’interrogations sans fond… Parce qu’au-delà de la présence de Copé dans la piscine de Takieddine, c’est un certain rapport du monde politique à l’argent, propre à notre République parfois étrange, qui est ici involontairement figuré.

D’origine “vernaculaire”, cette photographie témoigne de la façon dont vivent et s’auto-représentent les membres de tel groupe social. Elle constitue ainsi un document ethnographique très intéressant et il convient de l’analyser dans la perspective des relations qu’elle met en jeu.

En premier lieu, ce qui rend cette image si particulière pour qui s’intéresse aux représentations de la vie politique, c’est qu’elle est extrêmement labile sous le regard, qu’elle ne cesse d’évoluer dans sa signification, de prendre du poids politique et du sens allégorique ; au fur et à mesure que le voile se lève sur les arrière-cours de la Sarkozye et les doubles-fonds de la campagne électorale de Balladur en 1995, au fur et à mesure que le rôle du propriétaire de la piscine dans le financement occulte de la vie politique récente est éclairci, cette photographie transforme l’image de son sujet. Copé y passe du statut  de touriste de la Côte d’azur à celui de touriste de la vie politique, et l’eau dans laquelle il trempe de façon anodine se colore sensiblement, se trouble, du poids des affaires menées par son hôte. Ainsi, la part invisible de ce document, l’aura du propriétaire de la piscine, se dessine de plus en plus précisément hors champ et modifie le degré de compromission du nageur candide. Le liquide change de nature…

En effet, l’eau dans laquelle il trempe le touche entièrement, l’enveloppe et trouble ses formes. Il semble même coupé en deux tant la couleur de son costume de bain est proche de celle de la piscine… Elle incarne l’idée d’une symbiose entre l’homme et le liquide… C’est une eau qui le mouille de plus en plus, pourrait-on dire. L’intimité que son corps presque nu y entretient avec l’argent de Takieddine qu’elle représente par métonymie, est de plus en plus suspecte. C’est en effet la presque nudité de l’homme politique devant l’homme d’affaires, l’intimité qu’elle suggère, le fait d’être seul face à l’objectif derrière lequel on suppose aisément le marchand d’armes, qui pose le plus un problème éthique.

Sur les autres photos de la série, Copé est avec son épouse et accompagné d’autres personnes, le cadre ne l’isole pas personnellement et il apparaît dans un flux relationnel à multiples pôles ; des couples d’amis ensemble, en vacances, il y est de passage. Mais ici, seul dans la piscine, il apparaît comme coincé, pris dans le cadre, entre les bords de la piscine qui redoublent ceux de la photographie ; il est au centre des deux, c’est lui seul qu’a voulu saisir celui qui cadre… précisément pour le montrer. Il ne nage pas, il ne joue pas avec ses enfants ni avec sa femme, il paraît simplement au milieu de la piscine et pose pour le photographe. Regarde-moi, je suis dans la piscine.

Ce face à face avec le photographe renforce l’impression d’intimité due à la presque nudité de son corps. Celui qu’on photographie seul, pour soi, torse nu, c’est celui qu’on aime, qu’on désire, qu’on veut garder, celui qu’on est fier ou heureux d’avoir pour soi seul. On peut d’ailleurs supposer que cette photographie ait été prise par son épouse qui était avec lui chez Takieddine ce jour-là, mais on ne le sait pas exactement, et les légendes nous précisent que cette piscine appartient à Takieddine, ce qui permet au spectateur de penser que c’est bien ce dernier qui a pris la photo, ou que c’est pour lui qu’elle a été prise.

Intimité

“Jean-François est dans la piscine et me regarde” devient “J’ai mis Jean-François Copé dans ma piscine, il me regarde comme un gardon tout juste sorti de l’eau et qui se délecte encore de mon appat”. Les grandes espionnes et les grandes corruptrices triomphaient d’avoir mis un puissant dans leur lit, les hommes d’affaires sont fiers de mettre des hommes politiques dans leur piscine. La photographie n’en dit pas plus, elle semble être une fin en soi… C’est précisément ce qui fait d’elle un document sur la relation entre Takieddine et Copé, et au-delà, sur les liens “inappropriés” entre l’argent (qui prend la photo) et la politique (qui se fait prendre en photo). Comme un  document officiel, elle a été dûment établie par les intéressés. Elle atteste l’intimité de la relation entre un homme politique et un homme d’affaires que la presse qualifie de sulfureux.

Mais ce que cette photographie conserve en elle et ne cesse de distiller à nos regards ébahis, ce n’est pas seulement la relation qu’elle établit factuellement entre deux hommes, le cadreur et le cadré, mais aussi celle qu’elle figure à l’aide de puissants symboles. Elle nous parle et nous parle encore, nous dévoile une vérité que notre République n’ose pas encore voir franchement, elle se répand en confidences et déborde de son cadre, comme l’eau claire de la piscine de Takieddine, qui fuit en un courant limpide vers son extrémité droite. Depuis qu’elle a été publiée cet été sur le site de Mediapart et reprise abondamment sur de nombreux sites de presse (le copyright en revient étonnament à Mediapart) elle parvient à formuler visuellement ce que l’opinion publique commence à apercevoir de ce qu’elle savait depuis longtemps…

Elle formule visuellement ce qu’on entend souvent verbalement dans les expressions “être mouillé jusqu’au cou” ou encore “tremper” dans des affaires louches, ou encore “être éclaboussé par un scandale”, ou bien, pour reprendre l’expression de Thierry Gaubert “si je coule, tu coules avec moi”. On peut ajouter l’image de la “noyade” dans une mare d’eau, de Robert Boulin,  ou encore le surnom de piscine qu’on donnait autrefois à la DGSE et qui, par extension, donnait une image sub-aquatique à ses opérations à l’étranger. Comme, justement, celle visant le Rainbow Warrior par exemple. Au fond, la piscine, c’est la figure faussement claire et limpide des affaires troubles de la République… Plus c’est transparent plus c’est opaque, rien de tel, d’ailleurs que la transparence pour cacher ce qu’on ne veut montrer.

Comme l’argent, la corruption est fluide dans notre imaginaire, elle prend l’aspect du serpent qui ondule ou de l’eau qu’on ne maîtrise pas, qu’on ne peut pas contenir, qu’on ne peut non plus définir avec précision, comme l’eau, elle mouille, éclabousse et parfois noie, mais jamais on ne la saisit ni ne l’arrête. La chambre de compensation luxembourgeoise tant décriée s’appelle Clearstream (le courant limpide) ce qui n’est pas forcément un bon indice pour elle. Et l’on en vient à la notion de “liquide” qui semble être la forme intraçable et insaisissable sous laquelle l’argent circule dans les coffres des ministères et les poches de certains hommes politiques…

Contacts inappropriés

Certains hommes politiques français baignent dans le liquide, nous dit cette image sur un mode allégorique. Le pauvre Copé, qui a bien le droit de se baigner dans une piscine en plein été, se retrouve ainsi comme un gardon pris dans le vivier d’un pêcheur de gros. Il illustre une situation qui se fait jour sans le savoir. Il offre aux spectateurs qui se sont invités, par voie de presse, dans l’intimité qu’il entretient avec celui qui le photographie, une magnifique illustration des contacts “inappropriés” (pour reprendre cet anglicisme clintonien remis à la mode par DSK) entre les hommes politiques flirtant avec les sommets de l’Etat et les eaux claires mais troubles de la finance internationale. A tort ou à raison, on le saura peut-être un jour.

Sur le Web, cette photographie a manifestement trouvé des regards qui ont su lui donner toute sa portée. Alors que le site d’@si regrettait cet été que le feuilleton de Mediapart ne trouve que peu d’échos dans la presse généraliste, on peut voir sur Google images en rentrant la requête “Copé piscine” que l’image, elle, a fait florès sur la toile. Souvent reprise telle quelle sur des blogs citoyens indignés par les révélations de Mediapart, elle a aussi fait l’objet d’appropriations narquoises.

Haut de la première page Google Images pour la requête "Copé piscine"

On peut ainsi voir des reprises humoristiques qui exploitent la thématique de l’eau corruptrice ou celle de la relation compromettante.

source : Blog "Che 4 Ever"

Source : nostraberus.over-blog.com

Source : Laplote, l'actualité française vue de Suisse

Article initialement publié sur Parergon, le blog d’Olivier Beuvelet sur Culture Visuelle, sous le titre : “Dans la piscine de Takieddine”

Crédits photo via FlickR CC : Hollywoodpimp by-nd ; Stuck in Customs [by-nc-sa]

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http://owni.fr/2011/09/27/cope-et-takieddine-en-short/feed/ 0
S’en griller une pour oublier les photos anti-tabac http://owni.fr/2011/04/29/sen-griller-une-pour-oublier-les-photos-anti-tabac/ http://owni.fr/2011/04/29/sen-griller-une-pour-oublier-les-photos-anti-tabac/#comments Fri, 29 Apr 2011 14:42:46 +0000 Robert Molimard http://owni.fr/?p=34708 Dès son ouverture à la Belle Époque, les foules se pressaient au théâtre de la rue Chaptal à Paris, pour frémir d’horreur, de dégoût, d’angoisse et de plaisir aux spectacles qui rivalisaient d’atrocités, dans un flot d’hémoglobine. Le Grand Guignol a fermé en 1963, ne pouvant soutenir la concurrence des films d’horreur qui arrivaient à faire beaucoup mieux. Le relais est désormais pris par les présentoirs des buralistes.

Le problème à résoudre avant de prendre de grandes mesures spectaculaires est celui de l’effet réel des images réalistes. Répulsion ou attraction ? Quelle action sur les fumeurs, qui sont les porteurs du tabagisme ? En 2000, le Canada a introduit des images-choc sur les paquets de cigarettes. Une enquête téléphonique a été menée 9 mois plus tard auprès de 611 fumeurs. Relancés après 3 mois, 432 ont répondu . Un tiers (36 %) avaient cherché à se cacher les images, en changeant d’étui, mais cela n’avait modifié en rien leur tabagisme ultérieur. Peur (44 %) et répulsion (58 %) étaient les réactions émotionnelles qu’elles suscitaient. Le groupe ayant le plus fortement réagi a déclaré avoir plus fortement “diminué sa consommation, eu l’intention, ou tenté d’arrêter”.

La différence avec les moins émotionnés est faible (R=1,35). Elle n’est statistiquement significative que parce que la tentative d’arrêt, seul critère un peu objectif, a été mélangée dans un critère global avec des données peu fiables, comme la diminution de consommation. De plus ces données sont très sensibles aux effets de suggestion d’une telle étude aux objectifs déclarés. Enfin, les 30 % d’absence de réponses 3 mois plus tard peuvent constituer un tel biais de sélection qu’on ne peut accorder aucune confiance à cette statistique. Ajoutons que seule la comparaison avec un groupe semblable de fumeurs qui n’auraient pas été exposés à ces images aurait pu permettre d’affirmer leur efficacité. En l’état, le pouvoir de conviction d’une telle étude est absolument nul.

Des questions orientées

On ne trouve dans la littérature aucune autre étude sur l’efficacité. Une mise au point de 2009, à l’occasion de l’entrée en vigueur de ces avertissements en Suisse, conclut que ces images sont “utiles” . Mais cette affirmation ne repose que sur cette seule étude canadienne ! Le titre d’une des références qu’elle cite était alléchant, laissant penser que les fumeurs prêts à s’arrêter tireraient bénéfice de ces images . En fait ce travail porte, comme beaucoup d’autres, sur leur impact immédiat subjectif, leur perception, les sentiments qu’elles éveillent. On a demandé aux fumeurs si cela les incitait à s’arrêter, si cela les faisait réfléchir sur les risques. Il en est de même d’une enquête hollandaise auprès d’adolescents . Les questions induisent clairement les réponses. Aucune ne mesure l’efficacité en termes de tentatives d’abandon de la cigarette. L’intention n’est pas l’action.


Une seule voix un peu dissonante s’est manifestée . Demander à une population de fumeurs s’ils ont l’intention d’arrêter recueillera automatiquement un bon pourcentage de velléitaires. Les auteurs soulignent qu’il n’y a aucune preuve que l’introduction de ces avertissements ait augmenté les tentatives d’arrêt. Ils reprochent à l’équipe canadienne d’ignorer les travaux importants sur l’efficacité des communications basées sur la peur. Les fumeurs expriment une forte intention d’arrêter après les messages qui induisent la peur, car ils les espèrent efficaces. Cependant, lorsqu’on leur demande ensuite leurs priorités, celle d’arrêter de fumer devient très faible par rapport à d’autres comportements de santé. Leurs réactions déclarées sont positives, mais les réactions observées sont négatives, y compris les changements de comportement qui sont moindres chez ceux le plus à risque. Les réactions défensives ont pour but de “se libérer de la peur, pas nécessairement des menaces”.

Fumer pour faire fuir l’angoisse

C’est tout à fait ce que j’ai retiré de mes premières expériences voici 50 ans. Si, dans une conversation de salon, on me demandait si c’était bien vrai que le tabac donnait le cancer du poumon, je n’avais aucune peine à décrire un tableau qui n’avait rien de rose. À mon étonnement, la réaction n’était pas de me demander quand et où se tenait ma consultation. En fait, une main atteignait le paquet de cigarettes dans une poche, une cigarette était allumée presque en catimini, mais quelques minutes plus tard tous les fumeurs en avaient allumée une et la fumaient à l’aise, renversés sur leur fauteuil, m’écoutant poliment discourir comme si je faisais un reportage sur des mœurs exotiques.

En fait, ce discours avait suscité leur angoisse. Pas de secours dans la médecine ! Leur seule défense était de se persuader que le cancer ne les toucherait pas, qu’ils étaient génétiquement invulnérables. Mais à quoi reconnaît-on les invulnérables ? Simple : ils peuvent fumer sans risque ! Si je crains d’en allumer une, c’est que je ne suis pas certain de mon invulnérabilité ? Alors je l’allume. Je me prouve ainsi que je me considère réellement invulnérable… et cette cigarette lève l’angoisse. Gribouille, qui se jette à l’eau par crainte de la pluie. Etudiant l’impact des images par le délai de détournement d’attention qu’elles suscitent, des auteurs allemands trouvent de plus que, chez les fumeurs de plus de 20 cigarettes, elles augmentent l’anxiété et le besoin de fumer !

Voici donc encore une de ces mesures démagogiques, populistes, qui ont d’autant plus de succès qu’elles sont moins scientifiquement fondées. C’est une agitation stérile, du bruit pour rien. Les activistes à la psychologie de café du commerce ont conscience d’avoir agi, ce qui va les satisfaire au moins pour un temps. Les hérauts de l’anti-tabagisme pavoisent et crient victoire à la télévision. Mais hélas susciter la peur est encore le plus sûr moyen d’asservir les peuples, et d’accrocher plus fortement le fumeur à sa cigarette, pour le plus grand bonheur des compagnies tabagières, de l’État et de quelques graphistes.

>> Article initialement publié sur Formindep

>> Photos Flickr CC-BY-ND Paternité Pas de modification par Peter Rosbjerg, CC-BY-NC-ND par alphadesigner, et CC-BY-NC-SA par LeRamz.

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Les silhouettes des martyrs de la révolution tunisienne http://owni.fr/2011/04/17/les-silhouettes-des-martyrs-de-la-revolution-tunisie/ http://owni.fr/2011/04/17/les-silhouettes-des-martyrs-de-la-revolution-tunisie/#comments Sun, 17 Apr 2011 15:27:39 +0000 Emilien Bernard (Article XI) http://owni.fr/?p=57102 Officiellement, ils sont 236 ; mais le chiffre est sans doute plus élevé en réalité. Ils, ce sont les “martyrs” de la révolution tunisienne, tombés sous les balles et les matraques de la police entre le 17 décembre 2010 et aujourd’hui. Pour leur rendre hommage, le peintre Zoo Project, actuellement installé à Tunis, a choisi de les représenter sous forme d’effigies en carton, exposées à divers endroits de la ville.

C’est lequel, Mohammed Bouazizi ?

La question est récurrente. Dès que Zoo Project installe ses représentations, tailles réelles, des martyrs de la révolution, les personnes s’attroupant se mettent en quête de l’effigie de ce vendeur ambulant qui s’immola devant le gouvernorat de Sidi Bouzid le 17 décembre 2010. Logique : c’est son geste désespéré qui entraîna la Tunisie dans la révolution – tous souhaitent lui rendre hommage.

D’autres, les plus jeunes surtout, cherchent Mohammed Hanchi, 19 ans, tué le 25 février par une “balle perdue” alors qu’il sortait célébrer la victoire de son équipe de foot. Lui, tout le monde le connaissait à Tunis, et surtout dans la Kasbah, la vieille ville, où il résidait. C’est d’ailleurs en rencontrant la famille de celui que tout le monde appelle “Hanchi”, laquelle lui demanda de peindre son portrait sur un mur des environs, que Zoo Project a eu l’idée de ce projet particulier : peindre les “martyrs” de la révolution sur des cartons et les exposer en place publique.

Agora artistique

Devant la quarantaine d’effigies (chiffre provisoire, puisqu’il souhaite représenter tous les martyrs de la révolution, soit environ 236 personnes ), les gens palabrent, discutent, s’engueulent gentiment. Agora artistique.

Exactement ce que cherche Zoo Project, à Paris comme ici : un échange sans intermédiaire, direct, avec les destinataires de ses peintures. Parce qu’un travail artistique déconnecté des réalités du pays, à destination des élites, serait un non-sens, une aberration. Lui cherche à provoquer les réactions et les rencontres, à s’insérer dans un mouvement politique – même si ce dernier semble perdre son souffle dans la période actuelle. Et puis, en représentant les morts de la révolution, il pointe en filigrane l’impunité des assassins (les snipers, les gradés), peu inquiétés pour l’instant. Une démarche tout sauf anodine.

J’ai suivi le travail de l’ami Zoo pendant une dizaine de jours, l’aidant à transporter les martyrs de place en place dans une carriole branlante, bricolant avec lui pour rafistoler les effigies ayant souffert du transport, courant les manifestations pour les distribuer à ceux qui souhaitaient les brandir, et les photographiant dans un cadre rappelant leur activité pre-mortem. Compte-rendu en images.

Déclaration de principe by Zoo Project

« Pourquoi je peins les martyrs »

« Il arrive que certaines personnes réagissent négativement à mon travail, haussent la voix. Quand je dispose ces représentations des martyrs de la révolution dans les rues de Tunis – à Porte de France, Bab Souika ou avenue Bourguiba – beaucoup me félicitent, me remercient, mais d’autres s’insurgent : qui suis-je, moi, un étranger, pour peindre les martyrs de la révolution et les afficher ainsi dans Tunis ? Quel est mon intérêt là-dedans ? Je comprends ces interrogations, je trouve même naturel et légitime qu’elles surgissent : aborder un sujet si dramatique, à ce point vivace dans les mémoires, implique d’accepter le débat, de répondre aux questions.

Je suis arrivé à Tunis début mars. Franco-algérien de 20 ans résidant à Paris, je suis parti de France sans but défini, simplement parce que j’estimais que la révolution tunisienne – comme toutes celles qui secouent le monde arabe – était un événement unique, porteur d’un grand espoir. De Paris, je suivais la situation au jour le jour, espérant que le 14 janvier ne reste pas lettre morte, que la révolution ne perde pas son âme. Jusqu’à ce qu’un jour, je n’y tienne plus : il me fallait venir sur place pour témoigner, agir, à ma manière. Je souhaitais apporter ma modeste contribution au peuple insurgé.

Dialoguer, discuter, se faire accepter

Quand je suis arrivé, j’étais un peu perdu. Pas question de peindre les murs sans demander leurs avis aux habitants, de m’imposer face à une culture que je ne connais pas aussi bien que je le voudrais. Alors je suis resté aux aguets, discret, attendant de comprendre quel pouvait être mon rôle. Avant de peindre, je voulais discuter, dialoguer, me faire accepter. C’est dans le quartier de la Hafsia que le déclic s’est produit : rencontres fertiles avec des jeunes et des artisans, amitiés, encouragements. Quelques mômes du quartier m’ont parlé de leur ami Mohammed Hanchi, tué par une “balle perdue” alors qu’il n’avait pas même 20 ans. D’autres ont enchéri : il me fallait représenter leur camarade “Hanchi”, leur frère, leur ami disparu. Grâce à eux, j’ai rencontré sa famille, j’ai discuté avec ses amis, et j’ai compris que les morts de la révolution devaient être le sujet de mes créations. Car chaque personne m’expliquait, à sa manière :

Ils ne doivent pas disparaître, les oublier serait les tuer une deuxième fois.

À ce jour, j’ai peint une quarantaine de martyrs, taille réelle. Hanchi, bien sûr, Mohammed Bouazizi, également, celui que tout le monde me réclame, mais aussi des martyrs moins “connus” : Aamer Fatteh, Moez Ben Slah, Ayoub Hamdi, Faiçel Chetioui, Mersbah Jwehri, Rabii Boujlid, et bien d’autres encore. Ils étaient menuisiers, professeurs, vendeurs ambulants, chômeurs… Ils vivaient à Tunis, Kasserine, Sidi Bouzid ou bien Gafsa. Des gens ordinaires qui ne méritaient pas plus que d’autres de laisser leur vie sur l’autel de la révolution. Je souhaite, sur la longueur, les représenter tous. Des 236 martyrs “officiels” (selon le ministère de la Santé tunisien), je ne trouve pas toujours de photographies, de renseignements pour les représenter. C’est un travail de fourmi, mais un travail passionnant.

À mes yeux, ces figures ne sont pas des images mortes, des fantômes célébrés post-mortem. Ils n’appartiennent pas à un passé fantasmé, regretté. Ce sont des figures du présent, des compagnons de lutte. Si je les peins, si je me permets de les représenter, de les exposer dans des manifestations, c’est parce que je suis convaincu que leur disparition des mémoires marquerait la fin de l’espoir. De même que les Tunisiens se battent pour que leurs meurtriers – les snipers, les donneurs d’ordre, les matraqueurs – soient jugés et sanctionnés rapidement (revendication restée lettre morte pour l’instant), je cherche, à ma mesure, à rappeler la portée de la disparition de ces gens ordinaires. Ils font partie de l’avenir, de cette Tunisie qui se dessine, s’esquisse sous nos yeux. C’est cette esquisse que je tente de représenter.

Zoo Project, Tunis le 03/04/2011.

PS : J’exposerai ces dessins dans les rues et les places de Tunis tout au long du mois d’avril 2011, puis dans de nombreuses villes de Tunisie. Mon travail est en progression : si vous souhaitez m’envoyer des photographies ou des renseignements sur les martyrs (ce qui me serait très utile), contactez moi à l’adresse zooproject@laposte.net .

PPS : Ce projet est soutenu par l’association de quartier Beb-souika. Ce texte a été écrit avec l’aide d’Émilien Bernard. »


Article initialement publié sur Article XI sous le titre : « Tunis : les fantômes de la Kasbah »
Retrouvez le site et l’intégralité des photo sur Zoo Project

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Quand les abris anti-atomiques étaient en vogue http://owni.fr/2011/04/10/quand-les-abris-anti-atomique-etaient-vogue/ http://owni.fr/2011/04/10/quand-les-abris-anti-atomique-etaient-vogue/#comments Sun, 10 Apr 2011 18:36:08 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=56247

Les armes nucléaires et la possibilité d’une telle guerre sont des faits que l’on ne peut ignorer aujourd’hui. Vous pouvez déjà mettre en place beaucoup de choses pour vous protéger, et par là même, rendre plus forte, la nation américaine. Je vous encourage vivement à lire avec attention cette édition de LIFE magazine. La sécurité de notre pays et la paix dans le monde sont les objectifs de notre politique. Notre capacité et notre volonté de survie sont essentielles.

[Le Président Kennedy aux lecteurs de LIFE Magazine, 15 sept. 1961]

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et jusqu’à la fin de la guerre froide, l’administration américaine a éduqué ses citoyens sur les moyens à mettre en œuvre pour se protéger d’une attaque nucléaire. La plupart des pays de l’OTAN faisaient de même, notamment le Royaume-Uni ou l’Allemagne, tant la peur d’une guerre nucléaire était vivace.

Les publications officielles sont nombreuses, avec de jolis champignons atomiques en couverture, comme celle, impressionnante, de la revue gouvernementale, How to survive a nuclear attack, publiée par le gouvernement américain en 1950, juste après le premier essai nucléaire russe.

Les retombées radioactives (fallout) sont nocives pour la santé et souvent invisibles à l’œil nu. Un abri anti-atomique, collectif ou individuel, permet donc de se protéger pendant une durée variable, de deux semaines à un an, en fonction de son type de construction et du type de danger (retombées ou explosion nucléaires). Les citoyens sont encouragés à construire leur propre abri anti-atomique, les grandes villes privilégiant les abris collectifs.

La Shelter Mania

En août 1961, un an avant la crise des missiles de Cuba, le Président Kennedy décide de confier au Secrétaire de la Défense Robert McNamara, la mise en place d’un programme fédéral de défense civile afin d’informer et de protéger les citoyens en cas de guerre ou d’attaque nucléaire. S’en suivront une série de brochures officielles, dont la “Fallout Protection” publiée en 1961.

Le message est clair : une guerre nucléaire est imminente, construisez des abris anti-atomiques, protégez votre famille et la nation américaine. Des dossiers sont publiés dans la presse, des guides Do It Yourself (D.I.Y) pullulent, des publicités commerciales proposent même la construction de ces abris en mode “discount”. Dans un numéro du magazine LIFE, JKF s’adresse directement aux lecteurs (voir les photos). La Shelter Mania est lancée.

La culture populaire s’empare de ce thème : Stanley Kubrick sort en 1964, son film satirique, Docteur Folamour ou comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe, citons la série The Twilight Zone, certains James Bond, La Planète de Singes (1968), ou plus proche de nous, le comics Watchmen (1986), etc.

Le danger vient du Nevada

Les américains ont pourtant été plus touchés par les essais nucléaires effectués sur leur sol que par n’importe quelle (hypothétique) bombe A. L’Institut national du cancer américain a publié en 1997 une étude sur la contamination de ses populations par l’iode 131 suite aux multiples expérimentations nucléaires effectuées dans le désert du Nevada à partir des années 50. Conséquence : des dizaines de milliers de cancers de la thyroïde et la création d’un fonds de soutien au irradiés en 1990.

Quand les gens sont face à des situations terrifiantes, ils sont capables de prendre des précautions inimaginables, même si la menace perçue ne se réalise jamais.

Et le business ne s’arrête jamais. Depuis la guerre “contre le terrorisme” chère à l’administration Bush, et après le tremblement de terre japonais et l’accident de la centrale de Fukushima, l’abri anti-atomique reste un must. La compagnie Bomb Shelter vante ses 31 ans d’expérience dans la protection des “meilleurs et des plus intelligents” (sic), Rich et Annie du site Survival Ring proposent des méthodes D.I.Y et des pdf par douzaine à télécharger gratuitement sur le sujet. Le magazine Popular Mechanics listait en 2009 les six abris anti-bombardements “strong and chic dans lesquels investir… Certains se préparent déjà pour une troisième guerre mondiale.

Et maintenant, place aux images /-)

15 septembre 1961, Une du magazine LIFE : "Comment survivre aux retombées nucléaires"

De l'abri à la ville anti-atomique

Le D.I.Y de l'abri atomique, aussi simple qu'une notice IKEA

1950, Civil Defense Office : Comment survivre à une attaque nucléaire

Transforme ta cave en abri anti-atomique !

Le guide de l’abri anti-atomique

“Bombe Atomique ! Venez visiter un abri anti-atomique, dans un cadre… agréable”

Janvier 1962 : la ruée vers les abris communautaires

Décembre 1961 : Brochure du gouvernement américain sur les moyens de protection à mettre en oeuvre contre les retombées nucléaires
“EMERGENCY ATTACK KIT” : Un abri anti-atomique c’est bien, le garnir de victuailles, c’est mieux.

Protégez votre famille !

Vous n’avez pas de cave à transformer en abri anti-atomique ? “No problem” On vous aidera à le creuser dans le jardin !

“Vous pouvez construire un abri pour une somme modique et rapidement”

L’abri discount

En cas de guerre nucléaire, ce livre pourrait bien vous sauver la vie !
MEUH ! Les vaches ne sont pas oubliées…
À guetter : la signalisation de l’abri anti-atomique

Sources illustrations : Un Regard Moderne ; X-Ray Delta One via Flickr [cc-by ; cc-by-nc-sa] ; Wikipedia et Wikimedia Commons [cc-by ; Domaine Public]

La lettre de Kennedy aux lecteurs de Time Magazine :

Message de JFK dans LIFE, le 15 septembre 1961

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Interdire de photographier au musée est un contresens http://owni.fr/2011/02/21/la-photo-au-musee-ou-l%e2%80%99appropriation/ http://owni.fr/2011/02/21/la-photo-au-musee-ou-l%e2%80%99appropriation/#comments Mon, 21 Feb 2011 12:00:53 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=47779 Ah! Si seulement la culture restait l’affaire de quelques-uns, esthètes raffinés à même de profiter de la délectation des œuvres! Manque de chance, la populace aussi aime les musées, et s’y précipite en «cohortes», quand ce n’est pas en «hordes». Et pire du pire, ces pique-assiettes qui ont l’audace de prendre Malraux au mot se promènent habituellement munis de sandwiches au pâté et d’appareils photos derrière lesquels ils s’abritent, au lieu de s’abîmer dans la contemplation d’Un enterrement à Ornans.

J’exagère ? À peine. Réponse au très bon article de Vincent Glad qui commentait l’action du groupe Orsay Commons, militant contre l’interdiction de photographier au musée, le “Plaidoyer pour le no photo” du critique musical Jean-Marc Proust aligne plus de clichés que ceux qu’il reproche aux visiteurs de produire.

Rappelant le rôle de l’émotion dans le rapport à l’œuvre, le critique s’étonne même que l’initiative du musée puisse être critiquée, «car c’est faire œuvre de salubrité publique que de rappeler aux forcenés de la pixellisation ce pour quoi ils ont acheté un ticket d’entrée… Vouloir photographier les œuvres au point d’en faire une liberté essentielle, est un combat absurde, vain, dérisoire.»

Inutile d’accuser Jean-Marc Proust de snobisme : il a pris les devant, croyant couper l’herbe sous les pieds de ses contradicteurs. Pourtant, autant que son allergie anti-photographique, ses thèses esthétiques ou les références très common knowledge qui émaillent sa démonstration (Picasso, Proust Marcel, Jean-Luc Godard…) témoignent surtout d’une connaissance limitée au minimum scolaire de l’histoire culturelle.

Que nous apprend la lecture des historiens du tourisme ou des sociologues de la culture? Que les pratiques scopiques qui motivent l’expérience du déplacement s’accompagnent depuis les pélerinages médiévaux d’un commerce de petits objets symboliques du plus grand intérêt. C’est probablement à Saint-Pierre de Rome que s’est ouverte la première boutique de souvenirs, et la bondieuserie est aujourd’hui encore le modèle fondateur de l’industrie universellement répandue de ces sortes d’objets transitionnels, supposés à la fois marquer notre participation individuelle à un événement prescrit par la culture collective, fournir une trace reliquaire de notre présence en un lieu consacré, et amoindrir notre souffrance de ne pouvoir faire durer une expérience par nature passagère.

Entre les statuettes de la Vierge en plâtre peint, les petites cuillers décorées de blasons, les porte-clés ou les magnets, la pratique photographique a très naturellement pris sa place dans ce bric-à-brac de la consolation. Avec la dimension supplémentaire que pouvait seule conférer la particularisation de la prise de vue: une individualisation et une appropriativité bien supérieure au souvenir industriel.

L’appropriation n’est pas seulement un usage de l’art contemporain, elle est aussi un caractère fondamental de l’opération culturelle, celui qui permet le partage du patrimoine immatériel qui la fonde. Une culture n’est rien d’autre qu’un ensemble d’informations ou de pratiques dont l’usage commun est reconnu au sein d’un groupe comme marqueur de son identité. L’appropriation est la condition sine qua non de la participation à une culture.

Les conditions de ce partage dépendent étroitement des structures sociales en vigueur. Disposer une statue équestre sur une place convie le bon peuple au spectacle du pouvoir, mais sous la forme d’un tiers exclu dépourvu de toute influence sur l’objet qui a été choisi pour lui. L’idée généreuse, issue des Lumières, qui fonde la création des musées est de faire profiter le public des collections patrimoniales des princes ou des savants. Mais cette forme de partage se borne là encore à permettre aux pauvres de voir ce qui décore les salons des riches. Comme chacun sait, au musée, on ne touche pas. Difficile alors pour le peuple admis sur la pointe des pieds de se sentir propriétaire des merveilles dont on lui offre le spectacle.

L’église avait mis en place une série de mécanismes appropriatifs particulièrement efficaces, basés sur l’enseignement et le rituel, favorisant le développement viral d’une culture commune. Plus moderne, le musée est aussi plus libéral: il désigne le goût des classes les plus élevées comme modèle à imiter, en laissant chacun se débrouiller pour acquérir le savoir nécessaire à l’interprétation correcte du spectacle. On ne sera donc pas étonné de constater le fossé entre l’étudiant des beaux-arts, dûment formé aux arcanes de la délectation, et le vulgum pecus, sourd et aveugle aux beautés dont ni l’école ni les outils de communication mainstream n’ont pris la peine de lui donner les clés.

Croire que la haute culture peut être un attribut naturel de la sensibilité est un paradoxe. La culture est culturelle, c’est-à-dire apprise, et le visiteur de musée dépourvu de bagage se sent très mal à l’aise dans cet espace dont il ne maîtrise pas les codes. Sa capacité de s’approprier les œuvres dans ces conditions est faible pour ne pas dire nulle. Il reste à la porte d’une culture qui ne veut pas de lui.

D’où l’importance que prennent dans ce contexte les mécanismes appropriatifs de la culture populaire: les petits objets magiques du tourisme, les substituts éditoriaux, ou la pratique photographique, qui viennent recréer du lien à l’endroit du manque.

Tous ceux qui prétendent que l’opération photographique dresse un écran entre le spectacle et le spectateur n’ont jamais observé les visiteurs d’un musée. L’acte photographique, quoique rapide, n’en est pas moins réfléchi. Devant une œuvre célèbre, il faut entre une et deux secondes à un visiteur pour élever l’appareil à hauteur d’œil. Cela pour au moins trois raisons. La première, c’est que le regard marche vite et bien. Le spectateur n’a besoin que d’une seconde environ pour identifier ce qu’il voit. L’instant d’après est celui de l’acte photographique, qui intervient de façon parfaitement synchronisée, comme un prolongement et une confirmation du regard. Oui, ce que je vois est suffisamment important pour mobiliser l’opération photographique. Oui, je veux conserver le souvenir et prolonger le plaisir de cet évènement scopique.

Il y a d’autres raisons simples qui expliquent la promptitude du recours à la photo. La visite d’un musée est un exercice contraignant, il y a un parcours à suivre, impossible de passer dix minutes à apprécier une œuvre, on n’aurait plus le temps de finir la visite – et il y a tant à voir. Il suffit de refaire le même parcours sans appareil pour se rendre compte que, démuni de cette béquille, on consacre un temps plus long à l’observation. La photographie est une façon de répondre à la profusion muséale, elle donne l’impression de pouvoir l’affronter, la contrôler avec plus de sérénité. Enfin, le plaisir de la contemplation ne fait pas perdre pour autant le sens de la civilité. Nous savons que d’autres attendent derrière nous, le temps est compté, il faut laisser la place – clic!

Mais c’est quand on délaisse l’observation de l’œuvre pour suivre un groupe ou une famille dans sa déambulation qu’on perçoit le mieux l’utilité de la photo. Les visiteurs ne photographient que ce qu’ils aiment. Ils passent devant les pièces, parfois insensibles, souvent attentifs, mais on voit bien que le geste photographique correspond à chaque fois au point culminant de leur intérêt. Un visiteur ne photographie jamais un objet indifférent. Loin de former écran, la photo est au contraire une marque d’attention, la preuve de l’accueil d’une œuvre au sein du patrimoine privé de chacun, la signature de l’appropriation.

Si la photographie paraît une pratique bien adaptée à l’exercice de la visite, qui permet de gérer et de s’approprier le musée, pourquoi l’interdire? Il n’existe pas de véritable réponse à cette question. L’explication par le souhait de préserver les revenus des produits éditoriaux est démentie par les chiffres. A l’exception des dessins et des photos anciennes, celle de la préservation des œuvres des méfaits du flash n’a pas de fondement scientifique et ne se justifie plus depuis l’avènement de la photo numérique. Reste le désir de protéger les conditions de la délectation.

L’interdiction de photographier est un apanage des musées de peinture. Aucun musée des sciences, dont l’affluence est souvent plus importante et qui comporte plus de dispositifs interactifs, ne considère la photo comme une perturbation de la visite. Édicté pour des raisons mystérieuses aux justifications improbables, l’interdit participe en réalité de la sacralisation de l’œuvre d’art, à laquelle le musée de peinture ne peut tout à fait renoncer.

Plutôt qu’une activité dangereuse, la photographie est au musée une activité vulgaire. Ce que refusent les conservateurs des départements de peinture est précisément sa capacité d’appropriation, qui ne menace ni véritablement le droit ni l’intégrité de l’œuvre, mais qui fait bien pire: métamorphoser la haute culture en culture populaire.

La Joconde n’est plus depuis longtemps un tableau de chevalet. C’est une icône pop protégée par une vitre blindée, qui se visite comme on va voir un concert de Michael Jackson, dans la fièvre et l’hystérie de la rencontre avec un comble de la renommée. On comprend que du point de vue du puriste, cette œuvre puisse être considérée comme perdue pour l’histoire de l’art.

Mais l’invention du musée engage qu’on le veuille ou non un processus de dépossession, un transfert de la propriété des biens culturels des élites vers le peuple. Il ouvre un espace de négociation entre haute et basse culture, qui est sa raison d’être. Préserver les œuvres n’est pas le rôle du musée, mais de l’archive. Et préserver le confort de la visite doit s’opérer par la gestion des flux plutôt que par l’interdiction de la photographie.

D’accord, La Joconde fait frémir. Mais le rapport à la culture se construit dans l’histoire. Le rôle du musée n’est pas de livrer le spectacle de l’icône, il est de faire revenir une deuxième fois le visiteur et de lui apprendre à découvrir ce qu’il ne connaissait pas encore. L’appropriation est l’unique levier de cet apprentissage.

Rome, fontaine de Trévie.

Voir la photo au musée comme une nuisance est un contresens. Si le musée du Louvre a dû renoncer à l’interdiction en 2005 sous la pression du public, si des mouvements militants se mobilisent à Orsay pour faire entendre la voix des visiteurs, ce n’est pas par goût de la pollution visuelle, mais à l’évidence parce que la photographie représente un véritable enjeu pour le tiers exclu de la culture savante. Les conservateurs qui se promènent chaque jour parmi les œuvres doivent comprendre que ceux qui n’ont pas cette chance se servent de la photo pour apprendre le musée.

La photo n’est pas l’ennemie du musée. Comme la majeure partie de la pratique photographique privée, ce qu’elle manifeste est d’abord de l’amour. Refuser aux gens d’aimer les œuvres à leur manière est un acte d’une grande brutalité et un insupportable paradoxe au regard des missions du musée. Pour l’apercevoir, les conservateurs doivent mieux comprendre les logiques de la culture populaire, se rapprocher de ceux qu’ils invitent au spectacle, en un mot faire eux aussi ce qu’ils attendent des visiteurs : un effort d’adaptation culturelle.

En voulant bannir la photo, les musées interdisent en réalité la peinture. Comment expliquer à nos petits-enfants que les seuls absents de nos albums, entre les monuments de Florence et la visite du Science Museum de Londres, sont les tableaux des Offices ou de la National Gallery ? Comment veut-on que la jeunesse d’aujourd’hui fasse participer ces rares merveilles à sa culture visuelle pléthorique si le musée ne l’aide pas à en conserver la mémoire, en plaçant les œuvres sur un pied d’égalité avec le reste de l’offre culturelle? Interdire la photo, c’est punir le musée. Est-ce vraiment cela qu’on souhaite?

Article initialement paru sur Culture Visuelle, L’Atelier des icônes.

Photos d’André Gunthert

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Quand un appareil photo numérique se prend pour un artiste http://owni.fr/2011/01/16/quand-un-appareil-photo-numerique-se-prend-pour-un-artiste/ http://owni.fr/2011/01/16/quand-un-appareil-photo-numerique-se-prend-pour-un-artiste/#comments Sun, 16 Jan 2011 16:00:41 +0000 Sylvain Maresca http://owni.fr/?p=42716 Andrew Kuprenasin, étudiant à l’école d’art de Berlin, vient de proposer, comme projet en Digital Media Design le prototype d’un appareil photo qui permet d’évaluer, avant d’appuyer sur le déclencheur, la qualité esthétique de la photographie prévue. Non plus, comme le font communément les appareils numériques, sa qualité technique, mais bel et bien sa capacité à satisfaire aux canons du jugement esthétique. Baptisé Nadia, ce nouvel appareil permet donc de travailler les conditions de la prise de vue afin d’essayer de maximiser la note esthétique de l’image, comme le montre la vidéo de démonstration :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Cet appareil fonctionne avec Acquine, le premier moteur d’inférence esthétique disponible sur le marché. En l’état actuel, on peut le tester sur un site dédié en lui soumettant les photos de son choix afin de connaître son évaluation esthétique. Des exemples des photos estimées les plus esthétiques sont proposés en continu.

A l’origine de ce dispositif d’expertise automatique se trouvent les travaux de plusieurs chercheurs indiens et chinois basés aux États-Unis. Ils sont partis du site photo.net sur lequel des centaines de milliers de photographies sont soumises au jugement des internautes. En analysant les clichés les plus appréciés, ils ont élaboré 56 critères d’analyse du contenu des images susceptibles d’être retraduits en algorithmes mathématiques. Ils ont ensuite combiné ces critères pour établir un indicateur statistique permettant de mesurer la qualité esthétique de chaque photographie. Il s’agirait en quelque sorte d’une retraduction mathématisée de la sémiologie, mâtinée de psychologie des perceptions.

Des critères communs… à la carte postale

Il en ressort que les critères les plus décisifs (il semble bien que 15 le soient réellement sur les 56) sont les couleurs, leur degré de saturation, le respect du « nombre d’or » ou de la règle des 1/3 – 2/3 aussi bien dans le format que dans la composition de l’image, le jeu sur la profondeur de champ allié à la netteté du sujet, ainsi que la prédominance des objets aux formes convexes. Au bout du compte, la macrophoto d’un fruit très coloré, placé au bon endroit dans une image au format respectant lui-même le nombre d’or, servi par une profondeur de champ très faible et une netteté irréprochable, a toutes les chances d’obtenir une très bonne note esthétique. Aucune surprise n’est à attendre lorsque l’on regarde les photos les mieux cotées puisqu’elles ressemblent en tout point à celles que valorisent les magazines photos, les concours d’amateurs et les revues spécialisées dans l’imagerie spectaculaire, comme Géo. On se rassure même en vérifiant que La Joconde obtient une très bonne note (mais pas la meilleure). Mais on nous précise que Acquine n’est pas fait pour la peinture, sans nous expliquer pourquoi.

A-t-il fallu attendre ce pur produit de la normalisation informatique pour que les amateurs tentent de réaliser des clichés ressemblant aux cartes postales ou aux visuels publicitaires ? Pouvait-on attendre d’un outil construit sur la compilation des jugements les plus orthodoxes autre chose qu’une réification des canons les plus traditionnels de l’esthétique photographique ?

D’ailleurs, on peut se demander si Nadia, ce prototype d’appareil qui penserait à notre place, comme le dit le slogan, n’est pas plutôt une bonne blague de potaches, la plaisanterie lancée par des étudiants d’art pour montrer l’ampleur du décalage, pour ne pas dire le gouffre, entre ce que les amateurs ou les professionnels de la photographie entendent par esthétique et ce qu’en font ou en défont les futurs artistes ou designers pour qui les normes sont faites pour être détournées, ou à tout le moins constamment réélaborées. Comment les photos ratées dont se délectent nombre d’artistes et de critiques pourraient-elles obtenir une note convenable aux yeux Acquine alors qu’elles alimentent une création artistique inspirée précisément par la remise en cause de la notion même d’esthétique ?

P.S. : Je remercie Cécile Dehesdin d’avoir attiré mon attention sur cette nouveauté. Son article sur les photos « inratables », publié entre-temps, apporte des informations complémentaires sur l’esprit de ce projet.


Billet publié originalement sur le blogLa vie sociale des images du site Culture visuelle sous le titre Esthétique garantie.

Photo FlickR CC National Library NZ ; Kate Tee Harr.

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Concurrences graphiques http://owni.fr/2010/12/27/concurrences-graphiques/ http://owni.fr/2010/12/27/concurrences-graphiques/#comments Mon, 27 Dec 2010 08:52:27 +0000 Sylvain Maresca http://owni.fr/?p=39544

"Direct, le magazine des communications", décembre 1993

Pour une image de biscuits, on a demandé récemment à ce photographe de photographier séparément le panier, les gâteaux et le pot de lait. Lui se proposait de photographier le tout en respectant à la lettre le calque du directeur artistique de l’agence, auteur du visuel publicitaire.

Mais ça ne les intéressait pas parce qu’ils envisageaient de faire deux usages des mêmes images pour deux emballages différents. « Ils me demandaient de faire trois photos alors que, normalement, on n’en fait qu’une. Avant, on n’en faisait qu’une. Bon, moi j’ai fait comme ils voulaient. Pour les Créa [créatifs d'agences publicitaires], c’était une approche différente. Je sais pourquoi : c’est qu’ils vendaient 10 heures de retouche derrière, qu’ils n’auraient pas eu à faire autrement. » Aujourd’hui, les agences de pub sont très bien équipées pour ça. Certaines ont même monté un studio de photo.

Cet exemple m’a fait entrevoir que le passage au numérique avait intensifié, sinon déclenché, des phénomènes de concurrence directe entre les différents acteurs de la “chaîne graphique” qui, au bénéfice des facilités techniques offertes par le numérique, tentent de récupérer à leur profit les activités et marchés des autres. En voici quelques exemples :

Photographes versus Photograveurs

Certains professionnels ont décidé de se ré-équiper entièrement en numérique – en dépit du coût important de cet investissement – avec l’espoir de facturer désormais, en plus du prix de leurs images, le coût de leur post-production. En clair, ils ambitionnaient de reprendre à leur compte le travail des photograveurs et les bénéfices qu’il générait. Malheureusement pour eux, leurs clients directs et/ou les agences de publicité par qui ceux-ci passaient ne l’ont pas entendu de cette oreille : les uns et les autres ont surtout vu là une chance inespérée de réduire leurs coûts en supprimant le recours à un intermédiaire de la chaîne. Ils ne l’ont pas laissée passer.

Commanditaires versus Agences de publicité

Dans le même souci d’économie, certaines entreprises grosses consommatrices de photographies pour leur communication – dans la grande distribution principalement – ont vu leur intérêt à se passer, du moins en partie, des agences de publicité. Certaines ont débauché directement des chefs de publicité, des créatifs au sein de ces agences pour les intégrer directement à leurs services. Désormais, en pareil cas, les campagnes de publicité sont conçues au sein des entreprises et mises en œuvre en embauchant sans intermédiaires les divers professionnels requis, depuis le photographe jusqu’à l’imprimeur.

Commanditaires versus Photographes

Pour produire des supports de communication souvent à destination interne (site internet, catalogues pour la force de vente, etc.), certaines entreprises ont intégré un studio photographique et produisent désormais leurs visuels elles-mêmes. Soit en rémunérant en tant que de besoin les services d’un photographe professionnel appelé à travailler sur place, soit, au grand dam des hommes de l’art, en confiant à un cadre de l’entreprise le soin de prendre lui-même les photos.

Infographistes versus Agences de publicité

Certains infographistes indépendants ne se contentent plus de composer les visuels publicitaires à partir des éléments qu’on leur fournit, ils en viennent parfois à réaliser eux-mêmes les photographies, ce qui les rend aptes à doubler les agences en devenant l’interlocuteur unique des commanditaires.  Quand ils ne s’approvisionnent pas directement dans les banques d’images à bas prix disponibles sur internet.

Agences de publicité versus Photographes

Certaines agences court-circuitent également les photographes en achetant des visuels sur ces mêmes banques d’images. Mais ce n’est pas réalisable dans tous les cas et leurs clients ne valident pas forcément le résultat final ni le prix…

Photographes versus Photographes

Certains pionniers sont passés très tôt au numérique pour tenter de récupérer des marchés qui étaient en train de leur échapper. Mais à leur tour, ceux qui ont suivi un peu plus tard sont venus les concurrencer avec des prix moindres parce que, entre-temps, ils avaient pu s’équiper en numérique pour moins cher. Par ailleurs, selon qu’ils avaient ou non les moyens matériels et humains pour numériser leur fonds photographique et l’indexer de manière efficace, ils ont pu tirer profit du marché élargi offert par internet ou au contraire voir s’effondrer leurs espoirs de valoriser leurs archives.

Selon un photographe de publicité qui s’en est plutôt bien sorti en agrandissant son studio avec le concours de plusieurs associés, du temps de la photographie argentique, « c’était très difficile de casser la chaîne graphique. Parce que l’agence de pub avait l’habitude de travailler avec tel imprimeur, tel photographe, tel graphiste, tel photograveur. La chaîne graphique qui existait était très stable. Ça a totalement explosé avec le numérique. »

Pour décrire cette évolution multiforme et très variable, il importe de bien spécifier les types de production et de marché. C’est une entreprise ardue car il y a énormément de cas de figure. A ce stade de notre enquête, nous commençons à peine à nous y retrouver. Nous sommes donc preneurs de tous les témoignages et éléments de description possibles, précis, datés et détaillés. Merci d’avance.

Billet initialement publié sur La vie sociale des images, un blog de Culture visuelle

>> Illustration FlickR CC : Βethan

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