Géolocalisation, réseaux sociaux et droit

Le 23 mars 2010

Avocate au Barreau de New York, nouvelle venue sur la soucoupe en provenance de la planète juridique, Marie-Andrée Weiss revient dans ce billet sur les questions soulevées par la géolocalisation sur les réseaux sociaux au regard du droit.

Les internautes ont récemment fait les gorges chaudes d’un site américain, Please Rob Me, qui informait ses visiteurs lorsqu’un utilisateur du site Foursquare venait de quitter sa maison, et que celle-ci était désormais vide et prête à être cambriolée. Le véritable but des créateurs de Foursquare, comme indiqué sur le site, n’était pourtant pas d’inciter les internautes à un comportement délictueux, mais bien de les avertir des risques pris en publiant sur Internet leur localisation géographique. Le site est désormais désactivé, et ses créateurs souhaitent qu’une organisation reprenne le flambeau afin d’éduquer les internautes sur le danger de publier trop d’informations personnelles sur Internet.

Cambriolage : un risque réel

Ce risque est bien réel : de jeunes Californiens ont pu cambrioler l’an dernier les villas de plusieurs célébrités (entre autres Paris Hilton et Orlando Bloom) en regroupant des données trouvées sur divers sites Internet. Des sites consacrés aux potins les avertissaient que telle célébrité se trouvait ce soir-là hors de sa maison, tandis que d’autres sites leur permettaient de localiser la maison de la vedette en goguette.

Point n’est besoin d’être une célébrité afin que les internautes puissent connaître notre localisation géographique. Le site Foursquare permet aux utilisateurs d’un téléphone mobile « intelligent » d’installer un programme leur permettant d’informer leurs contacts du lieu où ils se trouvent, s’ils se trouvent dans les villes couvertes par ce service. Les utilisateurs d’un simple téléphone mobile peuvent envoyer un message texto à cette fin. Il est en outre possible de relayer cette information sur le site de réseau social et de micro-blogging Twitter et sur Facebook. Selon une étude de l’Université Carnegie Mellon de 2009, 72,4% des personnes interrogées connaissent les services permettant de partager leur localisation géographique avec des tiers. Beaucoup reconnaissent leur intérêt afin de pouvoir localiser une personne en danger ou un enfant, mais craignent qu’ils puissent favoriser les cambriolages ou les agressions.

Le succès de Foursquare a inspiré Twitter

Le succès de Foursquare a, semble-t-il, inspiré Twitter qui permet depuis peu à ses usagers d’indiquer leur location géographique. Ceux-ci peuvent choisir l’option opt-out afin de décliner cette option, ce qui est particulièrement heureux car la caractéristique principale du site est son caractère public. Ses utilisateurs peuvent choisir de protéger leurs tweets afin que seules les personnes par eux autorisées puissent les lire. La plupart des utilisateurs de Tweeter choisissent toutefois de laisser leurs tweets publics : tout un chacun peut les lire, et, au contraire de Facebook, chacun peut suivre qui lui plait sans avoir à recevoir l’autorisation de l’auteur des messages. En outre, on peut rechercher librement les messages publiés sur Twitter grâce à un simple moteur de recherche.

Le service offert par Foursquare est disponible pour les Parisiens depuis peu, et le New York Times a annoncé le 9 mars que Facebook, site disponible en France, prévoit de permettre à ses utilisateurs dès le mois d’avril d’informer leurs amis de leur location géographique.

Quelles conséquences au regard de la loi française ?

Quelles pourraient être les conséquences de l’utilisation de ces services de géolocalisation au regard de la loi française ?

Tout d’abord, quelles pourraient être les implications de la géolocalisation sur la vie privée ? Le droit français n’a jusqu’à ce jour traité que des implications de la géolocalisation sur la vie privée du point de vue du droit social. Une recommandation de la CNIL en date du 16 mars 2006 précise dans quelles conditions les employeurs peuvent utiliser un dispositif de géolocalisation. Le responsable du traitement doit en particulier prendre toutes les mesures nécessaires afin de prévenir l’accès à ces données par des employés non autorisés.

Qu’adviendrait-il si un employeur utilisait les données de géolocalisation qu’un employé poste volontairement sur un site de réseau social afin de surveiller celui-ci ? Il s’agirait sans nul doute d’une collecte de données à caractère personnel, et l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 précise bien qu’il y a traitement « quel que soit le procédé utilisé ». L’article 6-1° de la loi de 1978 dispose que les données doivent être collectées de manière loyale et licite. Est-ce loyal et licite d’utiliser des données librement mise en ligne par un internaute ? Certes non, puisque l’internaute ne consent pas à ce que ses données de géolocalisation fassent l’objet d’un traitement.

Le droit européen s’est également intéressé aux données de localisation : selon l’article 2 de la Directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, constituent des données de localisation « toutes les données traitées dans un réseau de communications électroniques indiquant la position géographique de l’équipement terminal d’un utilisateur d’un service de communications électroniques accessible au public ». Cette définition inclut les systèmes GPS et les téléphones portables, qui informent automatiquement le réseau électronique de la position géographique de leur utilisateur, et, semble-t-il, inclut également l’hypothèse où le sujet informe de lui-même le réseau de communications électroniques de sa position géographique.

Le Groupe de Travail dit « de l’article 29 » a bien noté dans son avis 5/2009 que les réseaux sociaux sont des services de la société de l’information, tels que définis par l’article 1er, alinéa 2 de la Directive 98/34/CE modifiée par la Directive 98/48/CE, c’est-à-dire « tout service presté normalement contre la rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services », bien que les utilisateurs des réseaux sociaux n’ont pas à rémunérer ces sites. En outre, les dispositions de la Directive 95/46/CE sur la protection des données s’appliquent « dans la plupart des cas », selon le Groupe de Travail, aux fournisseurs de réseaux sociaux, et ce même si leur siège se situe en dehors de l’EEE. Ils sont ainsi considérés comme responsable du traitement de ces données.

Un réseau social géolocalisé peut-il engager sa responsabilité pénale ?

Est-ce qu’un site de réseau social publiant la position géographique de ses utilisateurs pourrait engager sa responsabilité pénale ? Un internaute se fait cambrioler après avoir publié sa position géographique, et est même blessé au cours du cambriolage : peut-il s’agir d’une mise en danger de la vie d’autrui, délit prévu à l’article 223-1 du Code pénal ? Il faudrait prouver la violation d’une obligation de prudence, ce qui équivaudrait à soutenir que la publication d’une adresse est de nature à mettre en danger la vie d’autrui, et l’avocat choisissant cette voie n’aurait pas grande chance de succès.

Quelles pourraient être les réponses du droit de la responsabilité délictuelle ? Chacun est responsable du dommage causé par sa négligence ou son imprudence selon l’article 1383 du Code civil. La publication d’informations relatives à la géolocalisation pourrait-elle être considérée comme une faute par le juge ? Il faudrait établir un lien de causalité entre la publication de la géolocalisation de l’internaute et le dommage.

Et les assureurs ?

Qu’en-il du point de vue du droit des assurances de la responsabilité de l’utilisateur d’un réseau social qui aurait régulièrement publié sa position géographique ? Selon l’article L113-2 2° du Code des assurances, l’assuré doit « répondre exactement aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l’assureur l’interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». Si l’assureur découvre que l’assuré a régulièrement publié sa position géographique sur divers réseaux sociaux sans l’en avertir, pourrait-il invoquer la négligence de l’assuré cambriolé ?

Beaucoup de questions, et les réponses ne peuvent être encore que des pistes de réflexion, en attendant la première affaire où un tribunal aura à juger des conséquences légales de ce nouvel engouement des utilisateurs de réseaux sociaux, publier leur position dans le monde réel sur Internet.

Billet initialement publié sur Legalbiznext, sous le titre “On ne saurait être à la fois au four et au moulin : géolocalisation, réseaux sociaux et droit”

Photo CC Flickr spanaut

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés