Communication politique: je twitte donc je suis transparent

Le 20 juillet 2010

Le réseau de microblogging est utilisé par certain(e)s politiques au nom de la démocratie. Mais cette nouvelle pratique ne risque-t-elle pas d'aboutir à des contre-effets négatifs ?

C’est le dernier truc en vogue chez certaines personnalités politiques : raconter en « live » les coulisses d’une réunion à ses « followers ». En twittant à tire-larigot, ces « chroniqueurs » numériques d’un nouveau genre ont érigé le principe de transparence comme moteur de leur action. Diffuser ce qui n’était pas initialement censé sur retrouver sur la place publique, devient leur geste de bravoure au nom de la démocratie et des citoyens. Et si pourtant on tournait sept fois son clavier dans sa main avant de tweeter ? La question n’est pas si anodine.

Dans un univers où tant de mensonges et de bluff cosmétique faussent les relations et opacifient les décisions, comment effectivement ne pas applaudir des deux mains à la tentation de la transparence dont d’aucuns se font les chantres ? Comment ne pas célébrer en effet Twitter qui permet de se glisser dans les interstices et de savoir ce qui se passe véritablement ? Ces dernières années, la transparence est devenue la vertu qu’on exige et qu’on revendique. En cela, la Toile et ses gènes 2.0 ont largement permis de contourner et d’ébrécher les chapes de silence que des décideurs politiques s’ingéniaient à échafauder.

La transparence est effectivement vertu. Souvenez-vous par exemple de la fameuse « glasnost » (qui signifie précisément en russe « transparence ») prônée par Mikhaïl Gorbatchev dès 1985 dans le cadre de sa politique de restructuration économique ? L’ouverture des archives longtemps dissimulées, la libération de la parole et la circulation des informations ont ainsi permis de démanteler un régime soviétique totalitaire et propagandiste qui masquait volontiers des pans entiers de la réalité sociale et économique du pays.

Moins révolutionnaire mais tout aussi révélatrice est la transparence que la Suède a érigé en principe fondateur de l’État depuis 1766. Là-bas, tout citoyen a la possibilité d’accéder aux informations concernant les actes passés et présents des pouvoirs publics. Au pays des Vikings, il est hors de question de badiner avec la probité des décideurs politiques et de les laisser se cacher. Chacun doit pouvoir savoir et agir en connaissance de cause si nécessaire. Ainsi, deux ministres en ont-elles fait l’amère expérience en octobre 2006. Respectivement nommées ministres du Commerce et de la Culture, Maria Borelius et Cecilia Stegö Chilo, ont dû rendre leur tablier ministériel quelques jours plus tard à la suite de révélations. La première n’avait pas déclaré au fisc la baby-sitter de ses enfants et la seconde n’avait pas payé la redevance audiovisuelle. On connaît d’autres pays où les rangs ministériels se seraient probablement encore plus vite dépeuplés si pareil principe drastique était appliqué stricto sensu !

Transparence, vous avez dit transparence ?

Les politiques se sont vite emparés du phénomène Twitter

En France, quelques politiques se sont récemment convertis au jeu tous azimuts de la transparence en direct. Parmi les plus connus et assidus, on peut citer pêle-mêle Nathalie Kosciusko-Morizet (secrétaire d’État à l’Économie Numérique), Laurent Wauquiez (secrétaire d’État à l’Emploi) ou encore le député européen PS, Benoît Hamon. Tous diffusent régulièrement sur leur fil personnel Twitter, l’agenda de leurs activités ou leurs impressions du moment.

Pour ces adeptes du gazouillis digital, l’outil est fantastique. Il leur permet de ne plus être systématiquement tributaire des journalistes pour espérer avoir un écho auprès des lecteurs. Tout comme ces producteurs qui s’affranchissent des distributeurs pour toucher leurs consommateurs, les élus parlent désormais directement aux électeurs. Un potentiel énorme où chacun se plait à rappeler que grâce à ce microblogging actif, Barack Obama a pu mobiliser des militants et lever des fonds pour gagner l’élection présidentielle de 2008 aux États-Unis.

Depuis, bon nombre d’élus de terrain ont ouvert à leur tour des fils Twitter. Députée UMP d’Eure-et-Loir, Laure de la Raudière figure par exemple parmi les utilisateurs assidus des messages en 140 caractères (en plus d’un blog personnel régulièrement nourri). Maire UMP de La Garenne-Colombes et député européen, Philippe Juvin a été un des pionniers à s’emparer de Twitter dans l’exercice de ses fonctions1 : « C’est un des outils devenus indispensables à la proximité politique ». Un usage croissant qui vaut désormais aux twitter-politiciens d’être régulièrement jaugés et classés en termes de régularité et d’influence.

Twitter ou ne pas twitter, telle est la question

C’est un fait acquis. Twitter et consorts permettent une nouvelle proximité entre les élus politiques et le corps social. Pour autant et à la lumière de certains faits récents, on peut se demander si ce désir de proximité et de transparence n’a pas parfois des effets collatéraux pernicieux.

Pendant la Coupe du Monde de football 2010, le député UMP de Haute-Savoie, Lionel Tardy a ainsi connu son heure de gloire médiatique en relatant par le menu le contenu des auditions parlementaires de Jean-Pierre Escalettes, l’ex-président de la FFF (Fédération Française de Football) et Raymond Domenech, l’ex-sélectionneur. L’impétrant n’en était pas à son premier coup d’éclat. En mars 2010, il avait déjà retranscris les débats houleux du groupe UMP à l’Assemblée nationale après la débâcle des élections régionales. Le même a ensuite récidivé avec un scoop en annonçant avant l’heure l’abandon de la taxe carbone pourtant longtemps défendue par le gouvernement.

Le fil Twitter de Frédéric Lefebvre a connu des déboires en 2009

En juin dernier, un autre député UMP de la Mayenne, Yannick Favennec, révélait depuis une réunion à l’Élysée où il participait que Nicolas Sarkozy procédera à un remaniement gouvernemental en octobre 2010. Aussitôt, une dépêche AFP est tombée et l’emballement médiatique a fait le reste ! Lui aussi n’était pas un novice en la matière. Tout comme son collègue des bancs parlementaires Lionel Tardy, il avait relayé les discussions enfiévrées du groupe UMP après la défaite cinglante des régionales. À chaque fois, les greffiers numériques ont fait le miel des journalistes et de la blogosphère qui se sont empressés de faire écho à ces informations inédites et surgies de là où on ne les attend d’ordinaire pas.

Plus anecdotique mais tout aussi ravageur, la conseillère régionale socialiste Anne Hidalgo s’était malicieusement amusée en décembre 2009 à prendre en photo depuis son smartphone, son adversaire politique Valérie Pécresse en pleine séance d’assoupissement caractérisé dans les travées de l’assemblée régionale. Cliché peu valorisant qu’elle avait ensuite publié avec une légende ironique sur son compte Twitter et qui généra aussitôt un buzz médiatique conséquent et l’ire de Valérie Pécresse. A la même époque, une passe d’armes opposa également en pleine séance de travail, des sénateurs socialistes à Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, qui s’était auparavant permis de tweeter des commentaires peu amènes à l’égard de quelques élus de gauche du Palais Bourbon.

Une fois dépassé l’aspect certes sympathique du « potache dissipé », ces multiples exemples suscitent bien des questions. À vouloir à tout prix tout révéler et le diffuser aussi rapidement que l’éclair, ne va-t-on pas paradoxalement à l’encontre de la clarté des débats ? La transparence est évidemment une chose souhaitable mais à condition de ne pas devenir un réflexe pavlovien où n’importe quelle information sort à toute vitesse et sans contextualisation. À terme, ce genre de fuites peut même devenir source de confusion et de polémiques bien inutiles où personne n’est réellement gagnant.

De même, l’usage excessif de Twitter dans le cadre de réunions confidentielles ou restreintes risque à terme d’affadir la teneur des débats, voire générer une nouvelle langue de bois de la pire espèce, les protagonistes sachant désormais que leurs propos peuvent se retrouver transmis sur Twitter dans la seconde qui suit. Le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, s’en est d’ailleurs ému à la suite des « exploits » des députés Tardy et Favennec. A l’heure actuelle, il envisage l’interdiction de l’usage de Twitter pendant des commissions ou des auditions censées se dérouler à huis clos. Une idée qui ne recueille pas que des avis favorables parmi les députés qui avaient trouvé là, un excellent moyen de se faire connaître et d’émerger de la masse des 577 députés de l’Assemblée nationale.

Et qu’en disent les experts ?

Diffuser et partager à bon escient est l'enjeu d'un fil Twitter

La transparence inédite induite par Twitter représente en effet un véritable problème. L’idée n’est pas pour autant de revenir à la situation antérieure où tout se disait et se faisait à l’abri des discrets lambris molletonnés et en tenant soigneusement le citoyen à l’écart. Néanmoins, avant de céder à l’engouement adolescent de la transparence retrouvée, il convient de s’interroger. À cet égard, le juriste américain Lawrence Lessig a jeté en octobre 2009, un énorme pavé dans la mare en publiant un article provocateur intitulé « Against transparency » dans la revue The New Republic.

Dans ce texte polémique, il écrit notamment à propos de la transparence2 : « J’en viens de plus en plus à penser qu’il y a une faille dans cette bonne chose que nul ne conteste. Nous ne nous demandons pas assez dans quelles circonstances la transparence est une bonne chose et dans quelles circonstances elle peut au contraire être source de confusion, voire pire (…) Le « mouvement de la transparence nue » n’incitera pas au changement. Il finira par saper la confiance dans notre système politique ». Dans ce manifeste qui a fait couler beaucoup d’encre, l’auteur appelle au final à une « transparence ciblée » et non pas un brouhaha dépenaillé sous couvert hypocrite de transparence démocratique.

Dans une interview accordée il y a deux ans, le sociologue de la communication, Dominique Wolton, pointait déjà les dérives potentielles d’un usage abusif de cette soi-disant transparence numérique qu’autorisent Twitter et les réseaux sociaux. Selon lui, cet emballement pour le déballage public tient en une explication3 : « On a longtemps rêvé d’une information en temps réel au prétexte qu’elle allait permettre de mieux comprendre le monde. Nous sommes dans cet idéal de la vérité instantanée du direct. On s’aperçoit aujourd’hui de ses limites. Le direct ne vaut pas grand-chose sans son contexte, sans mise en perspective, sans connaissances ».

Conclusion : faut-il supprimer Twitter des mains politiques ?

La question est certes un peu abrupte mais après tout, à trop vouloir tout dire à tout moment, ne risque-t-on pas de brouiller les choses, voire d’insinuer ou laisser supputer des faits qui ne sont pas avérés ? Si ne peut plus avoir lieu le temps du débat serein entre personnes responsables et sans le joug dictatorial de l’immédiateté des technologies de l’information, alors nous nous acheminons droit devant vers une société cacophonique où seuls auront droit de cité les plus aptes à crier fort ou à émerger de manière radicale et tranchée. Ce qui ne constitue pas vraiment une avancée démocratique.

D’un jeune issu de la génération Y, on aurait pu attendre un usage plus pondéré et astucieux de Twitter. À suivre !

Pour autant, il ne s’agit pas de condamner Twitter et consorts au bûcher et à la censure. Dans d’autres circonstances, on sait bien que ces outils sont des ferments de savoir et de démocratie. Cela s’est encore vérifié avec les agitations estudiantines en Iran l’an passé. Seuls Twitter et les réseaux ont permis de se forger une idée un peu plus précise de la situation réelle qu’occultait le pouvoir iranien.

Simplement, l’outil numérique ne doit pas se substituer à l’action réelle des politiques, ni devenir un numéro de cirque ou un défouloir digne des pires moments de la IIIe République comme en témoigne par exemple la logorrhée surannée et bien peu propice au dialogue du fil Twitter de Benjamin Lancar, conseiller régional de Paris et président des Jeunes Populaires. En témoigne cette capture d’écran effectuée en pleine affaire Woerth-Bettencourt et Mediapart.

Pour en savoir plus

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Billet originellement publié sur Le Blog Du Communiquant 2.0.

Crédits Photo CC Flickr : Tveskov

À lire aussi chez OWNI : « Journaliste, entends le tweet du politique au fond du banc »

  1. Marie Maurisse – « Twitter, la nouvelle arme des politiques » – Ecrans.fr – 4 août 2008 []
  2. Extrait traduit et paru dans Courrier International – « Et si la démocratie se condamnait elle-même ? » – 25 février 2010 []
  3. Nathalie Raulin – « Trop d’interactivité risque d’accentuer l’agitation politique » – Ecrans.fr – 4 août 2008 []

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