Pige et journalisme scientifique, même combat
Scientifiques, vous rêvez qu’il y ait du meilleur journalisme ? Réclamez de meilleures conditions de travail pour les journalistes pigistes !
Cet article a été publié sur le site de l’Agence Science-Presse, média indépendant Canadien.
Si le journalisme de demain est voué à devenir un métier de plus en plus précaire, en quoi cela affectera-t-il le journalisme scientifique ? En mal, parce que la course à la productivité favorise les sujets superficiels ? Ou en bien, parce que ça stimule la créativité ?
C’est là , grossièrement résumé, un des débats qui divise les observateurs de la pige, au Québec et ailleurs, depuis au moins 15 ans. Dans le camp des pro-créativité : ceux pour qui le journaliste pigiste est un « entrepreneur », un mot qui a ratissé de plus en plus large, au point où il en est pratiquement devenu, pour ses partisans, synonyme de « créatif ».
Dans le camp des inquiets : ceux qui, comme l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), dénoncent les piètres conditions de travail… et le fait qu’elles trouvent encore le moyen de reculer. Comme on peut le lire dans cette vidéo récente de l’AJIQ :
Les tarifs du journaliste indépendant – Salaire compte tenu de l’inflation, 1980-2010 : moins 163%. Le journaliste indépendant cède ses droits : 1) d’auteur 2) moraux. Convergence des médias = pouvoir de négociation : zéro.
Or, si le journalisme scientifique a une particularité, c’est que même des scientifiques se sont ouvertement inquiétés des conditions de travail des journalistes. Les Britanniques Jane Gregory et Martin Bauer par exemple, dans un article sur la communication scientifique paru en 2003 :
La situation professionnelle du journaliste est de plus en plus incertaine, voire précaire… Entre 1984 et 1994, la production quotidienne de la presse écrite au Royaume-Uni a presque doublé, mais les effectifs des journaux ont à peine augmenté… Les relations publiques, par contre, forment un domaine des plus prometteurs. C’est un secteur en pleine croissance, qui offre de bons salaires et un milieu privilégié de réinsertion professionnelle pour d’anciens journalistes… Subissant ces pressions, les journalistes deviennent de plus en plus dépendants de sources d’information pré-élaborées, limitant ainsi leur propre apport à la rédaction, au résumé et à la personnalisation…
Plus récemment, les climatologues ont eu encore plus de raisons de s’inquiéter. Ainsi, l’équipe du blogue Real Climate en février dernier :
À ceux qui sont familiers avec la science et le travail du GIEC, l’actuelle discussion médiatique est en bonne partie absurde et surréaliste. Des journalistes qui n’ont jamais même feuilleté le rapport du GIEC sont maintenant scandalisés qu’un chiffre erroné apparaisse à la page 493 du volume 2. Nous avons rencontré des gens de télé venus filmer un rapport sur les erreurs du GIEC, et qui étaient surpris lorsqu’ils tenaient dans leurs mains un des lourds volumes : ils n’en avaient jamais vu. Ils nous disaient franchement être incapables de porter leur propre jugement : ils pouvaient seulement rapporter ce qui leur était dit. Et il y a un lobby très bien organisé, avec des relationnistes talentueux, qui s’assure que ces journalistes se fassent dire la « bonne » histoire.
Les scientifiques au secours des journalistes ?
Si les journalistes ont besoin d’alliés dans leur lutte pour une information de qualité, les scientifiques pourraient-ils être ces alliés ? Autrement dit, scientifiques, vous rêvez qu’il y ait du meilleur journalisme ? Réclamez de meilleures conditions de travail pour les journalistes pigistes ! Un éditorial de Nature, il y a presque un an jour pour jour, disait à ce sujet :
Les scientifiques ont peu de pouvoirs devant cette saignée. Mais n’importe quel geste pour engager le dialogue avec les personnes concernées ou pour assurer la survie d’un journalisme scientifique critique, serait salutaire.
C’est en effet une attitude qui serait certainement plus salutaire que celle consistant à accuser les journalistes de tous les maux. Leur fournir une meilleure formation en science, comme le veut le premier réflexe du scientifique, ne servira pas à grand-chose si, par la suite, les journalistes n’ont pas les moyens de s’en servir.
En fait, des pistes de solution sont déjà évoquées : l’hypothèse des médias subventionnés ou commandités par une université, comme le e360 que j’évoquais ici, est une des pistes envisagées (au Québec, des subventions gouvernementales d’aide à la vulgarisation scientifique existent déjà ). Un coup de pouce gouvernemental, par voie légale, objectif que poursuit l’AJIQ, est l’autre piste : on pense à l’octroi aux journalistes indépendants d’un statut qui les protègerait un peu (le modèle de l’Union des artistes est évoqué, parce qu’il garantit des tarifs minimaux lors de la signature d’un contrat).
Décision pas facile pour un politicien —il y a peu de votes à y gagner. Mais facile à justifier si on croit, comme société, à l’importance d’une information de qualité.
>> Images CC Flickr : garryknight et philippe leroyer
>> Article initialement publié sur le site de l’Agence Science-Presse
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