Horizon 2020: prévisions pour la prochaine décennie

Le 8 avril 2011

En admettant que l'espèce humaine survive à 2012, que nous réservent les dix prochaines années ? Esquisse de quelques prévisions, dont la réalisation demeure plus qu'incertaine...

Que pouvons-nous attendre de bon de 2020 ? Des vols commerciaux dans l’espace, prédit Esther Dyson, femme d’affaires et auteur spécialiste de la technologie. Des percées significatives dans la lutte contre le cancer, répond Michael S. Tomczyk, directeur exécutif au Centre Mack pour l’innovation technologique de Wharton. Une troisième révolution industrielle basée sur les énergies propres, affirme l’économiste et futurologue Jeremy Rifkin.

Mais ne faites pas tout de suite vos bagages pour la Lune. Historiquement, les prédictions se révèlent bien souvent trop optimistes, trop conservatrices ou tout simplement à côté de la plaque. “Ne faites jamais de prédictions”, recommandait le producteur américain Sam Goldwyn, “en particulier sur l’avenir”. Si on considère les performances des prévisionnistes, y compris les mieux informés, le conseil est judicieux.

Et pourtant, le monde change indubitablement, et souvent beaucoup plus radicalement et rapidement que n’importe qui l’aurait imaginé. La politique a toujours ses mystères – presque personne n’avait prédit la chute de l’URSS ou la montée en puissance de la Chine. Certains éléments suggèrent que le Département d’État américain n’avait même pas de plan d’urgence sur la manière de gérer une révolution en Égypte.

Même le monde de la technologie, supposé plus rationnel, s’est montré riche de surprises. Dans les années 1980, rappelle Andrew Odlyzko, mathématicien à l’Université du Minnesota et historien de la technologie, l’influent cabinet de conseil McKinsey & Company avait prédit que le marché américain des téléphones portables atteindrait 800 000 exemplaires en 2000 – une estimation 100 millions en dessous du nombre réel.

A tort ou a raison, voici ce que Esther Dyson, Michael Tomczyk et Jeremy Rifkin nous prédisent pour 2020 – et pourquoi.

Levez les yeux vers le ciel

Interrogée sur sa prédiction la plus folle pour 2020, Esther Dyson a décrit des voyages commerciaux dans l’espace et l’exploitation de ce dernier à des fins commerciales.

D’ici à 2020, un marché commercial dynamique se sera mis en place pour le voyage vers la Lune, vers des astéroïdes et vers des structures en orbites construites par des humains. Les entreprises s’y lanceront dans l’exploration minière des astéroïdes, la production de médicaments délivrés sur ordonnance, la captation de l’énergie solaire et autres activités lucratives, en utilisant pour ce faire la biologie de synthèse aussi bien que des outils de production traditionnels. Et, bien sûr, certaines personnes s’envoleront pour le fun – moi la première, j’espère !

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Michael Tomczyk, de Wharton, pense également que les voyages dans l’espace arriveront plus vite que les gens ne l’imaginent. “Ayant moi-même été pionnier sur certaines technologies… Je peux témoigner qu’il ne faut pas grand-chose pour lancer une révolution technologique”, affirme Tomczyk, qui dirigeait il y a trente ans l’équipe qui développa et mis sur le marché le premier PC, le Commodore VIC-20, vendu à un million d’unités.

Selon lui, ces vols civils vers l’espace pourraient aussi mener à d’autres innovations : “Personne ne sait quels miracles technologiques apparaîtront au passage, ou comment les découvertes que nous faisons changerons nos vies et les rendront meilleures, mais je suis certain qu’elles seront fondamentales”.

Dans dix ans, des traitements contre le cancer bien plus performants auront aussi été développés, prédit Tomczyk.

Je pense que pour beaucoup de cancers, les possibilités de traitement et de guérison augmenteront considérablement d’ici à 2020, grâce aux nouvelles thérapies qui sont en train d’être développées, qui incluent des vaccins sur mesure contre le cancer, l’utilisation de nanoparticules et de nanomédicaments pour détruire les tumeurs, des tests de diagnostics génétiques et l’identification d’éléments cancérigènes que nous devons éviter »

Une troisième révolution industrielle

Jeremy Rifkin, maître de conférence à Wharton et conseiller de plusieurs gouvernements européens, entrevoit deux voies possibles pour le futur: une catastrophe mondiale provoquée par le réchauffement climatique et la pénurie d’énergies fossiles, ou une troisième révolution industrielle, cette fois-ci s’appuyant sur des énergies renouvelables produites, non pas à la manière du XIXème siècle dans des sites centralisés mais de manière distribuée.

Pour Rifkin, président de la Fondation sur les tendances économiques à Bethesda, dans le Maryland, l’histoire est en grande partie déterminée par la forme d’énergie utilisée par la société. “L’énergie est toujours critique”, dit-il. “C’est la base sur laquelle se crée une économie. Les flux d’énergie sont toujours déterminants, toujours”.

Rifkin place en 1979 le début de l’ère dans laquelle s’inscrit notre futur immédiat, lorsque les réserves de pétrole par tête ont atteint leur maximum. Davantage de pétrole a été trouvé depuis, explique-t-il, mais l’augmentation des naissances a réduit l’importance de ces gains.

De là découle ce qui est arrivé à l’été 2008, lorsque les prix records du pétrole ont provoqué des émeutes de la faim dans 22 pays. “Notre civilisation entière tourne autour du pétrole”, affirme Rifkin. Quand les prix ont atteint 147 dollars le baril, les limites de la mondialisation sont apparues clairement pour la première fois.

Selon lui, c’est ce choc sur le prix du pétrole qui constitua le vrai séisme économique. La crise financière de l’automne 2088 en était juste une réplique, affirme-t-il.

A partir de maintenant, dit-il, chaque fois que l’économie repartira et aura besoin d’énergie, les ressources limitées en pétrole mettront un frein à la croissance. “Le même scenario se reproduira”, dit-il. “La production mondiale mettra une pression trop forte sur les approvisionnements”.

“La prochaine fois que le pétrole montera, ce sera la panique car ils vont réaliser que nous sommes en fin de partie”, prédit Rifkin, convaincu qu’une demande en hausse et une offre en baisse vont conduire au choc.

Je ne vois aucune issue à ça. Ce sont deux tendances irréconciliables.

L’échec retentissant des discussions sur le climat du sommet de Copenhague en 2009 fut aussi une étape déterminante. “C’était probablement le plus gros défi que nous devions relever dans les 175 000 années que nous avons passé sur cette planète – et nous sommes tranquillement rentrés chez nous”, dit Rifkin.

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Selon Rifkin, l’espèce humaine a cependant une chance de s’en sortir : les énergies renouvelables distribuées.

Dans le passé, les énergies renouvelables n’ont pas pris leur envol en partie à cause d’une difficulté d’ordre conceptuelle : comment pourrait-on générer suffisamment d’énergie nouvelle pour se substituer aux centrales électriques traditionnelles ? Mais dans le futur à énergie distribué de Rifkin, la vieille “usine” à énergie est remplacée par un réseau électrique décentralisé, jouant le même rôle qu’Internet pour la communication. Adieu la radio, bonjour l’iPod.

L’idée clé : chaque parcelle de cette planète reçoit virtuellement une forme ou une autre d’énergie renouvelable, solaire ou éolienne par exemple, explique-t-il. Pourquoi alors collecter cette énergie seulement en quelques endroits ? La nouveauté consisterait à utiliser des compteurs à double sens, qui permettent de produire l’énergie de manière hyper locale et de la distribuer également localement, peut-être même à l’intérieur de l’immeuble ou du quartier. A l’arrivée, de grandes quantités d’électricité peuvent ainsi être produites, de la même manière que l’informatique décentralisé a permis de disposer de la puissance de calcul de milliers d’ordinateurs.

Un regard en arrière

Certaines de ces prédictions se révèleront-elles exactes?

Certes, ces trois experts ont vu juste en plusieurs occasions par le passé – Dyson a compris le potentiel d’Internet bien avant beaucoup de gens ; Tomczyk, outre le développement du premier PC grand public, a collaboré au déploiement des premiers distributeurs automatiques de billets, et Rifkin a anticipé le débat autour des manipulations génétiques dès les années 1970, une anticipation judicieuse parmi d’autres dans sa longue carrière de prévisionniste. Mais comme on dit dans les hautes sphères de la finance, la performance passée n’est pas une garantie des résultats futurs.

Globalement, le futur s’avère étonnamment difficile à prévoir, même pour les futurologues les plus avertis. Michael Tomczyk fait en particulier remarquer que beaucoup de choses dont nous aurions pensé bénéficier aujourd’hui, comme les thérapies géniques, mettent beaucoup plus de temps à se réaliser que nous ne l’anticipions.

Odlyzko affirme, lui, que certains schémas se répètent– nous visons en général trop haut, même si nous sommes parfois dépassés par la réalité. “Nous constatons qu’en moyenne, la tendance a été à trop d’optimisme, en particulier de la part des investisseurs ou des promoteurs commerciaux d’une technologie, mais il y a aussi eu des cas où les prévisions ont été dépassées”, explique-t-il, citant le chiffre beaucoup trop bas donné par McKinsey pour les téléphones mobiles en 2000. Même les fabricants de portables n’étaient pas particulièrement optimistes sur ces derniers: Nokia avait prévu un taux de pénétration des mobiles de 30 % à cette échéance, rappelle Odlyzko.

Les gens comprennent souvent mal l’impact réel d’une invention, explique-t-il. Dans l’Angleterre du XIXème siècle par exemple, ceux qui développèrent les chemins de fer imaginaient avant tout le rail comme un moyen de transporter des marchandises, pas des hommes. L’enthousiasme que suscitèrent les trains de passagers les surprit. “Même les personnes qui ont de forts intérêts financiers en jeu ne réalisent souvent pas le potentiel de ce sur quoi ils travaillent”, dit Odlyzko.

Autre cas d’école : Ken Olsen, fondateur de Digital Equipment Corporation, l’un des plus gros fabricants informatiques dans les années 1970 et 1980, a complètement raté la marche des PC. “Il ne voyait pas pourquoi quelqu’un voudrait d’un ordinateur à la maison”, dit Odlyzko.

Souvent, des conséquences imprévues surviennent aussi. Ces dernières années, beaucoup ont bien perçu le déclin du courrier traditionnel, mais peu ont vu venir les besoins plus importants en livraison de colis que créerait le commerce en ligne.

Dans l’Angleterre du XIXème siècle, le chemin de fer signa assez rapidement la mort des diligences ; ceci a fait craindre une chute de la demande pour les chevaux, ce qui aurait constitué un danger pour la sécurité nationale. En réalité, quand le chemin de fer s’est développé, la demande en chevaux a augmenté. Davantage de biens devaient être transportés au niveau des gares. Ces animaux se révélèrent aussi fort utiles pour déplacer les wagons au niveau des aires d’aiguillages.

Les bateaux à voile devinrent aussi plus demandés lorsqu’eut lieu l’essor de la vapeur – et durèrent encore 50 ans après que les premiers rails soient posés. Les remorqueurs à vapeur les aidaient à éviter le danger des manœuvres d’entrée et de sortie du port. Selon Odlyzko,

les bateaux à vapeur ne pouvaient pas traverser l’Atlantique de manière financièrement compétitive mais ils pouvaient remorquer les bateaux à voile sur une vingtaine de kilomètres le long d’un fleuve, contre le vent.

Finalement, mieux vaut peut-être ne pas savoir de quoi on parle. Ironiquement, certains des meilleurs prévisionnistes existant pourraient bien être les moins qualifiés sur le plan technique. “Je crois que la science-fiction est une prescriptrice trop vite négligée d’innovations de rupture, radicales”, pense Tomczyk. Effectivement, le site Technovelgy.com liste des milliers d’inventions imaginées en premier lieu par des auteurs de science-fiction. Beaucoup de ces inventions sont aujourd’hui techniquement réalisables– des publicités personnalisées de Minority Report aux téléphones portables capables d’embrasser.

Retour sur cet article en 2020, lorsque les touristes enverront – ou pas – des baisers à leurs enfants depuis leur chambre d’hôtel, sur la Lune.


Article initialement paru sur Paris Tech Review

Illustrations CC FlickR: x-ray delta one, vonguard, ninja gecko

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